LA BULGARIE ET L'ENTENTE PENDANT LA PREMIERE GUERRE MONDIALE
Ivan lltchev
 
Résumé

Les années 1913—1918 figurent parmi les plus importantes de l'histoire bulgare contemporaine. La Bulgarie, se ressaisissant péniblement de la défaite catastrophique dans la Guerre entre les Alliés fut jetée dans un nouveau conflit armé — La Première guerre mondiale qui se termina par une nouvelle défaite. Au cours des quatre décennies, après le Congrès de Berlin, la principale conception qui dirigeait la politique extérieure bulgare était la réalisation au plus haut degré possible de l'unité nationale. C'était une idée qui unissait la société bulgare tout entière. Pour cette raison, les bulgares accueillirent avec un tel enthousiasme la déclaration de la Guerre balkanique, pour cette raison la consternation après le Traité de paix de Bucarest d'août 1913 fut si profonde. Il est étonnant que cet accablemen ne se poursuivit pas plus longtemps. Les bulgares pensaient que la situation qui s'était créée était impossible à supporter, tant elle était difficile. La tâche du nouveau gouvernement, formé de représentants des partis libéraux, le d-r Vassil Radoslavov en tête et du prince Ferdinand qui adroitement tirait les fils dans l'intrigue politique, caché derrière les coulisses, était de trouver la place de la Bulgarie dans l'équilibre changeant des rapports internationaux et de préparer le terrain pour la revanche proche et imminente.

Toutefois, malgré ces bonnes intentions, deux ans plus tard la Bulgarie était un des deux pays du monde qui soutinrent les Puissances centrales dans la Première guerre mondiale déjà commencée. Comment put-on arriver à ce déplorable du point de vue bulgare résultat ne représente pas un problème que les historiographies bulgare et mondiale ont négligé. Et pourtant, rares sont les analyses objectives, dans lesquelles les auteurs ne témoignent un parti pris dans le conflit politique sous-tendant les discussions historiques.

Dans la monographie proposée, sont utilisés des documents, puisés dans des archives publiques et des collections privées de provenance bulgare, britannique, française et américaine. On a tenté d'embrasser la majeure partie de l'immense littérature, consacrée à la préhistoire et à l'histoire diplomatiques de la Première guerre mondiale.

Le premier chapitre étudie les tentatives du gouvernement des partis libéraux de rétablir ses rapports diplomatiques avec les pays balkaniques voisins et de trouver des protecteurs parmi les grandes puissances. Les résultats dans les deux sens étaient plus que modestes. En effet, vers le printemps de 1914 la Bulgarie avait rétabli ses rapports diplomatiques avec la Roumanie, la Turquie, la Serbie, le Monténégro et la Grèce, mais la tension subsistait. Les dizaines de miliers de réfugiés, traversant toutes les frontières bulgares non seulement aggravaient la situation lamentable de l'économie, mais encore représentaient une source constante de frictions avec les voisins. Après la Guerre balkanique la Bulgarie resta sans protecteurs parmi les grandes puissances. Les ilérraux à Sofia tenaient la Russie responsable pour la dissolution de l'union balkanique, formée avec son appui tacite. De plus, à Peterbourg on comptait davantage dans sa politique balkanique sur la Serbie et la Roumanie. La diplomatie du tsar était prête à reprendre son attitude favorable à l'égard de la Bulgarie, à condition que le cabinet proallemand de Radoslavov fût changé. Voilà pourquoi Sazonow imposa à ses alliés à Paris et à Londres de ne pas admettre l'émission d'un emprunt à la Bulgarie, lequel aurait pu consolider la situation du gouvernement. La résistance de la Russie, secondée par la France obligea les libéraux de contracter un emprunt en Allemagne et de cette manière, à la veille de la Première guerre mondiale de faire le premier pas vers la ralliement du pays aux Puissances centrales.

Environ quinze mois après le début de la Première guerre mondiale, la Bulgarie reste neutre. Pour Sofia le conflit signifiait que le temps était venu de procéder à la révision du Traité de Bucarest.

L'attitude du pays dépendrait en premier lieu de l'équilibre des forces sur les fronts, mais aussi des propositions que l'un ou l'autre pays en guerre auraient faites. Les aspirations de la diplomatie bulgare de nouveau étaient dirigées vers la réalisation la plus complète de l'idée nationale, ce qui créât les plus grandes difficultés aux pays de l'Entente. Ils n'avaient aucuns doutes quant à l'équité des prétentions bulgares. Mais comme l'avaient montré les événements récents aux Balkans, l'équité jouait un rôle subalterne lors de la solution des conflits internationaux. Chaque pays de l'Entente avait ses clients sur la péninsule, ses projets pour l'avenir, ses conceptions sur les sphères d'influence. L'adhésion de la Bulgarie aurait compliqué les rapports avec tous ses voisins. Le problème était si l'apport positif au point de vue militaire de l'adhésion de l'armée bulgare qui comptait un demi million de personnes aurait le dessus sur le résultat négatif au point de vue politique de la perte de positions en Serbie, en Grèce et en Roumanie.

Au cours de la neutralité bulgare la diplomatie de l'Entente héstait entre deux variantes d'action — propositions généreuses au temps de défaite et réserve au temps de victoire. Au point de vue bulgare, en dehors de leur volume, les propositions possédaient un défaut commun — il n'y avait aucune garantie qu'après la victoire éventuelle, elles seraient respectées. L'impuissance de la diplomatie de couper le nœud gordien se manifesta dans l'opération des Dardanelles, réalisée surtout par les anglais et qui avait pour but de résoudre des problèmes diplomatiques à l'aide de moyens militaires.

Vers l'automne de 1915, les armées de l'Entente perdaient sur tous les fronts, à Galipoli les armés turques se défendaient avec persévérence, les bulgares laissaient entendre que sans garanties ne bougeraient pas d'un pas. La diplomatie de l'Entente arriva à une de ses idées les plus réalistes — contre l'entrée en guerre de la Bulgarie, elle proposa l'occupation d'une partie de ,,1'irredenta" bulgare par des armées bulgares.

Mais la proposition vint trop tard. Un mois plus tôt Radoslavov avait conclu un contrat avec l'Allemagne, à la suite duquel les bulgares pouvaient garder toutes les terres qu'ils auraient occupées lors de leurs opérations de guerre contre la Serbie. De cette façon, le rêve de réaliser l'unité nationale, d'un coup allécha les bulgares, ainsi que Radoslavov et Ferdinand, tandis que la diplomatie de l'Entente ne fit rien pour les arrêter.

En 1915—1918, après l'entrée de la Bulgarie en guerre, la diplomatie de la Russie, de la France et de la Grande Bretagne continuait à tourner clans le même cercle vicieux. Les trois pays ne voyaient point la raison pour laquelle ils devraient donner des victimes et subir des dégâts clans les combats contre la Bulgarie afin de servir les objectifs de la politiques de ses petits alliés balkaniques. Mais l'inertie des résolutions une fois prises et l'absence d'un nombre suffisant de stimulants du changement orientèrent la politique de l'Entente aux Balkans dans une direction antibulgare.

L'idée d'une paix séparée avec la Bulgarie demeura clans la sphère des souhaits, et non pas de la politique réelle. De plus, l'opinion publique dans les trois pays, fatiguée de la guerre qui durait déjà trois ans témoignait une réprobation violente contre toutes sortes des concessions aux alliés de l'Allemagne. Dans cette situation, les diplomates bulgares, eux aussi, dans la mesure où ils cherchaient une issue politique de la crise militaire avaient très peu de possibilités d'agir. La Bulgarie, après la défaite de Dobro pole fût obligée de demander un armistice dans des conditions très défavorables.

Dans la présente monographie on essaie d'analyser ces processus et les résultats qui en découlent en tant qu'une action réciproque de facteurs politiques, militaires et diplomatiques. Une étude détaillée est consacrée au rôle de l'opinion publique et des lobbies différentes lors de la formation des idées sur les orientation de la politique extérieure. On conclut à la fin que la défaite militaire et diplomatique de la Bulgarie dans la Première guerre mondiale est prédéterminée dans une grande mesure par le Traité de paix de Bucarest et le système de rapports internationaux aux Balkans qu'il fait naître. Aucun des pays de l'Entente ne montre qu'il est prêt à soutenir la Bulgarie, ce qui impose comme une conséquence naturelle l'engagement économique, politique et militaire de la Bulgarie avec les Puissance centrales.


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