La chanson de Roland et Byzance ou de l’utilité du grec pour les romanistes

 

Henri Grégoire and Raoul De Keyser

 

 

Byzantion, Vol. 14, No. 1 (1939), pp. 265-316

 

 

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A Μ. Mario Roques, hommage respectueux

Je crois que ces noms se rattachent tous à quelque souvenir et à quelque tradition.

Gaston Paris.

 

  (1) Le fond historique des épopées : témoignage de l’épopée byzantine  265

  (2) Butentrot est Buthrinto, Buthrenton, Βονθρωτόν d’Epire  269

  - Carte d’Épire et d’Albanie montrant les lieux cités dans la Chanson de Roland  274

  (3) Chanineis, Jéricho de la Chanson : Kanina, Jéricho d’Epire  275

  (4) Baile, Balie et Gloz de la «Chanson» sont les caps Pali et Glossa  278

  (5) Les corps de troupe de l’armée d’Alexis Comnène : Pinceneis, les Petchenègues  280

  (6) La preuve «couronnante» : les «Micenes (Nices) aux chefs gros» sont les Nemitzes (Νέμιτζοι) ou troupes allemandes de la garde d’Alexis  283

  (7) Durazzo, la Macédoine et la Thessalie  286

  (8) Serbes, Esclavons Bulgares de Samuel  287

  (9) Les Nubles (Publes), ou Pauliciens. Torleus = Traulos  287

(10) Les Blos ou Blas : première mention des Valaques dans la littérature occidentale  290

(11) Les Grecs, les Russes, les Varangues  291

(12) Les Anglais  292

(13) Ceux d’Occian : les Opsiciani, commandés par Docianus  292

(14) Les Lycanor ou Lycaoniens  294

(15) Baligant = (Georges) Paléologue  294

(16) Val Penuse, Malpreise  296

(17) Malprime = Mabrica, Mambrita c’est-à-dire Μαύρικας  296

(18) Le Chériant, Gharzanis, le Val Marchis, le royaume du roi Flurit  297

(19) La terre d’Ebire!  298

 

- NOTES COMPLÉMENTAIRES  302

   - Note sur les Francs et les Νέμιτζοι (page 283). 302
   - Canabeus = Comnène (p. 295). 302
   - Note sur les «Valaques» et sur leurs révoltes (pp. 290). 303
   - Une évidence méconnue (sauf par Tavernier) : terre de Bïre, terre d’Epire (pp. 298-99). 303
   - Imphe ou Nimphe (p. 301). 305
   - Le roi Vivien secouru dans Imphe (p. 299). 305
   - Sur l’identité de Turoldus (p. 299). 305
   - L’objection de Jenkins (p. 299). 307
   - Califerne (p. 289). 309
   - Variantes des noms cités 311

 

- ADDENDA ET GORRIGENDA à l’article «La Chanson de Roland et Byzance»  315

 

 

(1) Le fond historique des épopées : témoignage de l’épopée byzantine.

 

Ce n’est pas au lecteur de cette revue qu’il est nécessaire de démontrer que les épopées du moyen âge ont un fond historique, aux deux sens de cette expression : c’est-à-dire que leurs héros primitifs et les grands événements qui en constituent la donnée fondamentale appartiennent réellement à l’histoire (1) et, secundo, que les métamorphoses successives de la matière épique, depuis les cantilènes jusqu’aux chants historiques proprement dits, jusqu’aux compositions plus ou moins géniales, de plusieurs milliers de vers, que nous avons accoutumé d’appeler chansons de geste,

 

 

(1) «Appartiennent réellement à l’histoire». Nous ne pouvons renvoyer ici à toutes nos études épiques, dont la formule du texte constitue pour ainsi dire la synthèse ; mais on voudra bien admettre comme particulièrement décisives les notes que voici : Nicéphore au col roide, Byzantion, VIII (1933), pp. 203-212 ; Héros épiques méconnus, dans Annuaire de l’Institut de Philologie et d’Histoire Orientale, t. II (1933-34), = Mélanges Bidez, pp. 451-463 ; et en général nos recherches sur l’épopée byzantine, p. e. notre article de la Revue des Études Grecques, 1933, pp. 30-69, et les deux chroniques de l’Antiquité Classique, I, 1932, pp. 419-439, II, 1933, pp. 449-472 (celle-ci de Μ. Roger Goossens).

 

 

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ont subi l’influence de leur époque, en d’autres termes, présentent des allusions directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes, à des événements et à des personnages contemporains de chaque rédaction. Comme la loi du genre impose presque toujours aux rhapsodes successifs la conservation des personnages les plus anciens, du théâtre des faits primitifs, et de tout un coloris archaïque, il en résulte naturellement que tout poème épique fourmille d’anachronismes. Ces vérités de sens commun ont pu être niées par les romanistes et par les germanistes, et plus encore par les homérisants, pour la raison que le contrôle des textes proprement historiques est à peu près impossible dans les trois domaines cités, et que de plus, le premier stade de la production épique, celui des cantilènes, doit être reconstitué pour la poésie homérique comme pour la poésie française, et dans une certaine mesure aussi pour l’allemande. Ajoutons qu’en ce qui concerne la Chanson de Roland, beaucoup de savants déclarent ne la connaître que sous une seule forme, dans une seule rédaction, représentée par tous nos manuscrits ou même par un seul, le manuscrit O d’Oxford, et que, jusqu’aujourd’hui, la date de cette rédaction est litigieuse. On comprend, dans ces conditions, que les romanistes aient toujours été sceptiques au sujet des interprétations historiques et géographiques de la Chanson de Roland. Ne sachant, officiellement pour ainsi dire, ni à quelle époque remonte la première rédaction, ni vers quelle année il faut placer la dernière, ils devaient refuser d’examiner sérieusement les rapports possibles de leur épopée et de l’histoire contemporaine, ou pour mieux dire encore, toute exégèse historique de la Chanson passait pour tendancieuse, puisqu’elle ne pouvait se concevoir qu’en fonction d’une théorie préconçue sur la date. Le présent article étant consacré à l’épopée française, je n’étends pas le parallèle à la question des Nibelungen ni à la question homérique. Sur la première, les lecteurs de Byzantion connaissent nos idées ; et quant à l’Iliade, plaise au dieu Thot, inventeur de l’écriture, de révéler prochainement à Μ. Biegen, qui vient en mai 1939 d’exhumer les archives — 82 tablettes — du vieux Nestor à Pylos mycénienne, la valeur des signes mystérieux (σήματα λνγρά) qui, nous en jurerions, contiennent, en partie du moins,

 

 

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l’élément historique de la geste de Pylos, une des couches les plus profondes de l’épopée achéenne.

 

Nos lecteurs savent que l’évolution de l’épopée byzantine, elle, est parfaitement claire, et que quiconque passe de notre domaine à celui des chansons de geste occidentales a le droit de sourire des hésitations et même des problèmes des romanistes. Le présent fascicule de Byzantion apporte aux historiens de la littérature populaire la preuve irréfutable que des chansons historiques du début du Xe siècle se récitent encore, sans altération sensible, au XXe, et que ces mêmes chansons, vivantes aujourd’hui, ont servi de sources ou de matériaux, au Xe-XIe siècle, à un versificateur qui tenta de bâtir une «grande machine épique» avec des chants séparés et des développements, hélas ! de son crû. Rappelons en trois lignes notre argument capital : un poème de deux cents vers environ, conservé dans un seul manuscrit, du XVe siècle, décrit le passage de l’Euphrate par un jeune héros, Armouropoulos, qui est sûrement l’empereur Michel III d’Amorium. On vient de recueillir dans trois villages de l’île de Chypre, de la bouche de quelques paysannes illettrées, des variantes de ce même chant historique, qui ne sauraient en aucune manière remonter au texte du XVe siècle publié en 1890, mais bien à une forme bien plus ancienne de ce que nous avons appelé la geste d’Amorium. En particulier, les versions chypriotes ont des détails réalistes, étonnants de couleur locale, sur le cavalier qui, au passage de l’Euphrate, s’enlise dans un banc de sable et s’en dégage miraculeusement (1). Or la forme la plus archaïque du poème de Digénis, celle qu’a conservée le manuscrit de l’Escorial, attribue à Digénis (mort en 778 788 dans un défilé du Taurus), un passage de l’Euphrate, décrit au moyen des vers admirables créés par quelque Taillefer ou Turold byzantin à propos de la prouesse amorienne de 860!

 

Voilà pour les cantilènes (2).

 

 

(1) Voir à ce sujet dans ce fascicule de Byzantion, les pages 246-247.

(2) Cf. Byzantion, VII, 1932, Autour de Digénis Akritas. Les Cantilènes et la date de la recension d’Andros-Trébizonde, p. 287 et ss. et dans le présent tome XIV, 1939, l’article intitulé Nouvelles Chansons Épiques des IXe et Xe siècles.

 

 

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Mais nous avons prouvé également que, sauf les toutes dernières rédactions rimées ou en prose, auxquelles les copistes et les lecteurs ne prenaient plus qu’un intérêt purement romanesque, et dont la «géographie» et l’histoire sont fantaisistes, chaque recension de l’épopée ou pour mieux dire, du roman en vers politiques de Digénis Akritas, porte la marque de son époque. Μ. Stilpon Kyriakidès a prouvé notamment que les gemelli de Trébizonde et d’Andros remontent à une rédaction comnénienne, seconde ou troisième édition d’une œuvre du Xe siècle, rédigée problablement dans la première moitié du XIIe. La généalogie du héros y a été remaniée en vue de le faire descendre d’un personnage nommé Aaron, mort vers 1070, et les figures de femmes, d’abord anonymes, portent les noms des princesses de la dynastie des Comnènes. D’autre part, aucune allusion précise aux mœurs franques, ni même aux croisades, ne permet de descendre, pour la composition de ce roman, beaucoup plus bas que le règne de Manuel Comnène. Quant aux recensions du Xe siècle, nous avons appris à les distinguer par les noms donnés successivement à l’empereur byzantin qui traite, plus ou moins pacifiquement, avec le héros : Basile, Romain, Nicéphore. Inutile d’en dire davantage. Tant que l’épopée est vivante, les poètes plus ou moins originaux qui la renouvellent de temps en temps, qui la mettent pour ainsi dire au goût du jour, y introduisent des allusions à l’actualité politique, y font figurer des personnages dont le nom rappelle d’illustres contemporains, ou des noms de lieux devenus fameux par suite de quelque fait de guerre. Si nous possédions la Chanson de Roland d’avant Hastings (1), celle dont Taillefer récita au moins quelques laisses sur le front de bandière de l’armée normande en 1066, nous y trouverions sûrement l’un ou l’autre vers inspiré au jongleur par la circonstance. Mais notre Chanson de Roland, et je pense que tout le monde est d’accord là dessus, est postérieure à Hastings. Les principales recensions que nous en avons remontent à un texte

 

 

(1) Voyez l’admirable démonstration de Lot-Fawtier, dans R. Fawtier, La Chanson de Roland, Paris 1933, quant à l’existence d’une «Chanson du dixième siècle», pages 65-83 et 193 sqq.

 

 

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où la chanson primitive était même augmentée d’un épisode assez comparable à la Dolonie homérique, l’épisode de Baligant. Épisode et chanson proprement dite sont d’ailleurs assez habilement soudés l’un à l’autre, et le rhapsode qui a fait cette opération a pris soin de glisser dans la première partie des vers qui annoncent et supposent la seconde. Quoi qu’il en soit, l’archétype de nos recensions ne peut être que de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle. Et le seul problème, il est vrai d’une grande importance, demeure celui-ci : ce poème a-t-il été composé avant la première croisade, ou après la grande expédition de 1096-1099? Nous espérons pouvoir trancher au moins ce débat.

 

 

(2) Butentrot est Buthrinto, Buthrenton, Βονθρωτόν d’Epire.

 

Nous partirons de l’argument dit de Butentrot (1). Dans la laisse CCXXXII, vers 3220 (2), le dénombrement des «escheles» de Baligant débute ainsi :

 

La premere est de cels de Butentrot.

 

 

(1) Cf. notre mémoire : L’Épopée byzantine et ses rapports avec l’épopée turque et l’épopée romane, Bulletin de la Classe des Lettres de l’Académie Royale de Belgique, t. XVII (1931), paru en 1932, pp. 484 ss., où nous traitions la question de Butentrot sans aucun parti pris, en concluant en faveur de Buthroton-Podandos. On le voit, nous avions d’abord sacrifié à l’erreur commune.

 

(2) Toutes les citations, sauf indications contraires, sont faites d’après l’édition Bédier, publiée chez Piazza, à Paris, en 1931 (101e éd.). Il va de soi que nous avons consulté les principales éditions de la Chanson de Roland, notamment celles de Stengel, Das Altfranzösische Rolandslied, t. I (le seul paru), Leipzig, 1900 ; de T. Atkinson Jenkins, La Chanson de Roland, (dans Heath’s Modem Language Sériés) revised édition 1929, parue chez D. C. Heath and Cy, Boston—New-York—Chicago—London ; de J. Bédier, t. I. La Chanson de Roland publiée d’après le manuscrit d’Oxford et traduite, t. II, La Chanson de Roland (Commentaires) Paris, 1927 ; de Bertoni, La Chanson de Roland, Florence, Olschki, 1935. On sait que la chanson nous est parvenue sous les diverses formes suivantes :

 

            1) Rédaction assonancée, représentée par le manuscrit O, n° 23 du fond Digby de la Bodléienne d’Oxford, du second quart du XIIe siècle (voyez la reproduction photographique du codex par Charles Samaran, Société des Anciens Textes Français, Paris, 1933) et par le manuscrit V4, Ms. Mem.Gall. IV (aujourd’hui n° 225) de la bibliothèque de Saint-Marc à Venise. O a été écrit en Angleterre, V4 en Italie.

 

            2) Une rédaction rimée, transmise par divers manuscrits qui se répartissent en deux groupes :

 

   a) le codex Gall. VII, (aujourd’hui n° 251) de la bibliothèque de Saint Marc à Venise, généralement appelé V7, fin du XIIIe siècle, écrit en Italie, et le manuscrit de la bibliothèque de Ghâteauroux, désigné par le sigle C ;

 

   b) les manuscrits P (Paris, B. N. f. fr. 860, fin du XIIIe s.), L (Bibl. de Lyon, 984, XIVe siècle), T (Trinity College de Cambridge, fin du xve siècle), plus divers fragments (cf. Bertoni, p. 15). On admet que les deux versions CV7 et PLT remontent à un même archétype, dérivant de la rédaction assonancée et diversement altéré. En tous cas CV7 et PLT sont indépendants l’un de l’autre. Il faut citer encore les recensions non françaises du poème :

 

1° le Ruolandesliet allemand, qualifié par Μ. Bertoni de traduction libre de la rédaction primitive ; due à un clerc bavarois nommé Conrad, cette traduction est importante par sa date (entre 1131 et 1133) : nous la désignons par le sigle dR. 2° la compilation norvégienne dite Karlamagnussaga, écrite entre 1230et 1250 parle moine Robert, par ordre du roi de Norvège HaakonV, 1217-1263. C’est la huitième partie de cette compilation qui contient un récit de la guerre d’Espagne, d’après une rédaction assez proche de O, mais toutefois différente ; nous ne trancherons pas ici la question de savoir si la source de la Karlamagnussaga serait la plus ancienne Chanson de Roland, ou du moins une forme plus ancienne que celle qui se laisserait reconstituer à l’aide des autres manuscrits. Les érudits qui le pensent se fondent sur le fait qu’elle ne contient pas l’épisode de Baligant.

 

3° Nous n’avons cité qu’une fois la version néerlandaise appelée dK par Stengel (cf. Bédier, II, p. 73), et une fois aussi la paraphrase du Ruolandsliet (de 1230 env.), dite du Stricker (cf. Bédier, II, p. 72) éliminée par Bertoni et Jenkins ; nous la désignons par le sigle bS.

 

Feu Bédier s’est fait le héraut de la précellence du manuscrit d’Oxford. Mais sa thèse n’est plus guère acceptée par personne. Μ. Bertoni lui-même, bien que trop «bédiériste» à notre gré, observe à la fin de son introduction :

 

«Il rationabile obsequium ehe dobbiamo avéré per O, non deve chiuderci gli occhi dinanzi a le sue manchevolezze, non deve indurci a scambiare gli errori del copista per lezioni originali, e non deve impedirci di valerci del testo di V4 (e dei Roncevaux e delle redazioni non francesi) laddove il venerando manoscritto di Oxford riechiede d’essere emendato, migliorato, integrato».

 

Principe excellent, mais que l’illustre éditeur applique avec trop de timidité : car nous ne saurions accepter les réserves qui atténuent fâcheusement la valeur de la règle posée par lui : «un intervento discreto, non esteso a presumibili lacune e interpolazioni, ma limitato ad imperfezioni ed errori evidenti, è opportuno in somma, e necessario». Rendons hommage à notre maître Μ. Maurice Wilmotte qui, dans son mémoire intitulé : «Le Manuscrit V4 de la Chanson de Roland», Paris, Droz, extrait du Bulletin de l’Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, séance du 1er février 1932, a pleinelent réhabilité V4, malgré ses nombreux défauts. Ajoutons que, puisque les versions rimées elles-mêmes ne dérivent d’aucun des deux manuscrits assonancés, elles peuvent toutes entrer en ligne de compte pour la reconstitution de l’original. Nous verrons que les noms propres, en particulier, ont été plus d’une fois gravement altérés par O, sans doute très consciemment, tandis que les détériorés ont des chances de les reproduire plus fidèlement. La chose est particulièrement claire pour les noms de peuples où le scribe de O a cherché la couleur, et non pas précisément la couleur locale (Bruns pour Russes ou Ros, Nigres pour Walgres ou Vangres, c’est-à-dire Varangues).

 

 

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Il est clair que ce nom géographique ou historique doit avoir une signification. C’est ce qu’a pensé déjà le premier éditeur de la Chanson, Francisque Michel, en 1837.

 

 

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Il proposa d’identifier (et le terme est juste, puisqu’il s’agit d’une identité phonétique absolue et non d’une simple analogie) Butentrot à Butintro, la célèbre ville d’Épire, le fameux port de l’Adriatique, en face de l’île de Corfou, le Buthrotum des Latins, le Bouthroton des Grecs. Ce nom, en effet, nous a été transmis sous de nombreuses formes, et sa seconde partie, d’après l’analogie d’autres noms de lieux, s’était très tôt altérée en (Bu)trenton, (Bu)trinton. Cette identification a été généralement acceptée jusqu’en 1889, sans qu’on en tirât d’ailleurs les conséquences qui s’imposent. Mais depuis cinquante ans, elle a été tout aussi généralement rejetée sous prétexte que l’Epire n’est pas un pays sarrazin ; on a donc préféré, avec Theodor Müller et Paul Meyer, voir dans Butentrot le nom d’un défilé d’Asie Mineure, Podandos, aujourd’hui Bozanti, entre Héraclée-Eregli et Marash-Germanicia de Cilicie. Cette nouvelle identification était plausible, car les historiens des croisades ont transcrit «Butrentot, Botrentoh, Botrinto, Botentrot», ce toponyme cappadocien. Or, c’est dans l’été de 1097 que les hommes de la première croisade, après la bataille de Dorylée, traversèrent le défilé de Podandos. Citons Joseph Bédier : «Si les chroniqueurs mentionnent cette vallée, c’est qu’un fait considérable s’y est produit :

 

 

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à Butentrot, disent-ils, se séparèrent Tancrède et Baudouin, pour marcher, le premier vers Tarse, le second vers Antioche. Or c’était la première fois, peut-on dire, que des gens venus de France passaient par ces lieux : au Xe, au XIe siècle, les voyageurs qui s’acheminaient isolément ou en petites troupes vers les Lieux Saints, n’auraient eu garde d’emprunter un aussi dangereux itinéraire : ils longeaient les côtes, évitant de s’aventurer dans les gorges du Taurus. Au contraire, au mois d’août 1097, des Français ont campé à Butentrot par milliers, et l’on s’explique ainsi que ce nom ait pu prendre alors une certaine notoriété et que l’auteur de la Chanson de Roland l’ait entendu et retenu» (1).

 

Le conflit entre les deux Butentrot, l’épirote et le cappadocien, ne peut se trancher par le recours à un vers absent du manuscrit d’Oxford, mais qui figure, sous diverses formes, dans V4, V7, C, et P. Ici, une observation méthodologique : quiconque, comme nous, étudie l’épopée française à la lumière de l’épopée byzantine, ne saurait avoir aucune indulgence pour la solution de facilité qui réduit la tradition manuscrite à un seul codex sous prétexte d’antiquité ou, comme disait feu Bédier, de «précellence». En pareille matière, il n’y a pas de détériorés. Ou du moins, des manuscrits réputés inférieurs ne sauraient être écartés, quand il s’agit de reconstituer un archétype, que s’il est prouvé qu’ils dérivent d’un autre manuscrit connu. Nos lecteurs se rappelleront que nous avons réussi à localiser et à dater l’épopée byzantine en nous fondant sur un manuscrit extrêmement lacuneux et corrompu, l’Escorialensis, remontant au remaniement comnénien, mais qui, néanmoins, est seul à nous conserver, avec une foule de détails primitifs, le nom de la ville de Samosate sur l’Euphrate, non loin de laquelle nous avons découvert le sépulcre du héros.

 

Nous nous rangeons donc à l’avis des savants qui, pour des raisons philologiques ou littéraires, ont affirmé qu’en particulier V4 et V7 doivent à chaque instant entrer en ligne de compte pour la restitution de l’archétype de la Chanson de Roland.

 

 

(1) Bédier, II, Comm., pp. 45-46.

 

 

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Or, V4 (v. 3405) (1) ajoute ce trait à la mention de Butentrot :

 

La primera e quilli de Butintros,

Dun Çudeo fo, que Deo traï a tors.

 

Tout d’abord il parut que ce détail curieux («dont Judas fut, qui Dieu trahit à tort») était décisif en faveur du Butentrot d’Asie Mineure, puisque le chroniqueur Albert d’Aix cite une porte de Judas (portant Judas) au voisinage du val de Butentrot. Mais cela n’est nullement péremptoire, puisque sur le rivage épirote, on montrait dès le XIIe siècle la maison de Judas. La patrie de Judas a donc été localisée — pour des raisons transparentes (2) — à proximité des deux Butentrot, et Joseph Bédier avait raison de conclure que, de ce chef, le vieux litige demeurait en suspens.

 

Cependant, une simple raison phonétique devait faire penser, indépendamment des vraisemblances géographiques, que Butentrot et Judas avaient été transférées d’Épire en Cappadoce. C’est seulement la ville d’Épire qui s’écrit ab antiquo par un r. Les croisés de 1097 n’ont pu travestir Podandos en Botentro que parce qu’ils étaient déjà familiers avec le toponyme épirote. Après quelques hésitations, nous sommes donc revenus à l’hypothèse de Francisque Michel. Et nous avons raisonné comme suit : en général, un nom de lieu devient épique à la suite d’une sorte de découverte qui frappe les imaginations. Ce qui importe en pareille matière, c’est la première impression, le premier contact. Théodoric s’appelle dans toute la légende germanique Dietrich von Bern, parce que c’est à Vérone qu’il s’est heurté pour la première fois aux forces d’Odoacre. Cette légende a éternisé le souvenir d’un premier choc, d’un premier exploit (3).

 

 

(1) Ici, le vers 3405 veut dire que, si l’on se reporte au v. 3405 de l’édition Stengel, on trouvera en note la leçon de V4.

(2) Voyez notre mémoire cité plus haut, p. 269, note 1.

(3) Notre théorie du premier choc est exposée dans notre mémoire : «Où en est la question des Nibelungen?», Byzantion, X, 1935, p. 220, où nous disions : «Combien de temps le danois Godrum (le Gormont épique) est-il resté à Cirencestre? Un an à peine (879-880). Et le fragment de Bruxelles de Gormont et Isembart, comme la chronique, a immortalisé le nom de cette bicoque du comté de Glocester». Cf. Bédier, les Légendes Épiques, IV, 1913, pp. 36-37.

 

 

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Si Butentrot figure en tête d’un long dénombrement de forces de la païennie, ou si l’on veut, de l’Orient, c’est sans doute parce qu’une grande expédition des guerriers d’Occident sur les terres de l’Empire d’Orient a débuté par l’attaque et la prise de cette ville. Or cette expédition est historique et nous pouvons le dire, épique. C’est le premier contact des Normands d’Italie avec l’Empire grec, c’est la pré-croisade de Robert Guiscard en 1081, sa grande guerre contre Alexis Comnène, racontée par Anne Comnène dans son Alexiade, par Malaterra, et chantée en vers latins par Guillaume d’Apulie (1). Lisons le IIIe livre de l’Alexiade, ch. XII, § 3 (2). Robert part de Brindisi :

 

«Quand il eut tout achevé comme il le voulait, il leva l’ancre ; les dromons, les trirèmes et les «monères» étaient rangés en ordre de bataille selon les règles des campagnes navales, et ainsi la navigation commença en bon ordre.

 

 

(1) Sur les sources de l’histoire ce cette guerre, cf. p. e. F. Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, 1,1907, pp. xxxi-xxxiv : Aimé du Mont Cassin, Ystoire de li Normant ; pp. xxxvi-xxxvii : Geoffroy Malaterra, Historia Sicula, éd. Muratori, RISS, V, p. 547 sqq. ; pp. xxxviii-xl : Guillaume d’Apulie, Gesta Roberti Wiscardi, MGH, SS, IX, pp. 240 sqq. On sera très déçu en lisant le chapitre intitulé fallacieusement « Les Sources » de la longue introduction du Père Leib, en tête de son édition d’Anne Comnène, p.163 sqq. Il n’y est question, en effet, que de la tradition manuscrite du texte grec. Or, la comparaison entre Anne, Guillaume d’Apulie et Malaterra, dans le récit des événements qui nous occupent, nous a donné la conviction que la princesse byzantine suit ici de très près une source latine. Elle n’en fait point mystère d’ailleurs ; à la fin du livre III, ch. 12, § 8, elle dit en propres termes : «Il (Guiscard mettant le siège devant Durazzo) avait avec lui le Latin qui me raconte tous ces détails : c’était un envoyé de l’évêque de Bari auprès de Robert ; il affirmait avoir fait cette campagne avec Robert». Cf. sur ce personnage la note de Ducange, p. 496 de l’édition de Bonn. Mais quel qu’ait été cet informateur, il me paraît évident qu’il a dû surtout traduire à la princesse le poème de Guillaume d’Apulie. En quantité de passages, Anne Comnène, écrivant vers 1145, dépend manifestement des Gesta Roberti, achevés vers 1111, tandis que Malaterra écrit à la fin du XIe siècle.

 

(2) Nous citons ici la traduction Leib, Alexiade, texte et traduction, vol. I, Paris, Belles-Lettres, 1937, pp. 139-140, édition de Bonn, vol. I, p. 182-183.

 


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Carte d’Épire et d’Albanie montrant les lieux cités dans la Chanson de Roland

 

 

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Grâce à un vent favorable, il arriva sur la côte d’Avlona, et, longeant le rivage, il alla jusqu’à Butrinto (Βοθρεντον dans le texte). Là il se joignit à Bohémond, son fils, qui avait pris la ville, venant d’Avlona ; il divisa alors toutes ses troupes en deux armées, dont il garda l’une dans l’intention de la conduire par mer jusqu’à Dyrrachium, et il confia le commandement de l’autre à Bohémond qui devait gagner par terre Dyrrachium».

 

On se rappelle que Joseph Bédier attribuait la célébrité de Botrento de Cappadoce à la séparation de Tancrède et de Bohémond en 1097. On voit que seize ans plus tôt, Bothrenton d’Épire avait eu une importance plus grande encore. Sa conquête préludait à une formidable entreprise, ambitieuse s’il en fut, puisqu’il s’agissait dans l’esprit de Guiscard de conquérir l’Empire byzantin au nom du pseudo-Doukas ; et c’était à Butentrot, emportée d’assaut, que Robert et Bohémond avaient un instant concentré toutes leurs forces. Le vers de la Chanson, d’après nous, garde le souvenir de cet exploit. Si notre hypothèse est exacte, il faut que d’autres noms de lieux cités pendant la même expédition figurent dans la Chanson et notamment dans l’épisode de Baligant. Reprenons Anne Comnène, et relevons les localités où se situent des faits de guerre.

 

 

(3) Chanineis, Jéricho de la Chanson : Kanina, Jéricho d’Epire.

 

Donc, si Robert rejoignit son fils Bohémond dans l’été de 1081 à Butrinto, c’est que le jeune prince, entré en campagne le premier, avait débarqué à Avlona et avait pris de haute lutte les villes de Kanina et de Jéricho. Les exploits de Bohémond ne sont pas plus absents de la chanson que ceux de Robert Guiscard lui-même. Au vers 3228, Jéricho apparaît en bonne place : c’est la septième «eschele» :

 

E la sedme est de cels de Jericho.

 

Ce nom de Jéricho, jusqu’à présent, a toujours servi d’argument à ceux qui prétendaient que la chanson était postérieure à la croisade.

 

 

276

 

C’était une des rares objections à faire au raisonnement classique de Gaston Paris :

 

«Si le poète, dit ce maître, dans un passage souvent cité (1), avait travaillé après la croisade, on en verrait quelque chose dans son œuvre... On y trouverait mentionnés les Agolans, les Açopars, les Bédouins, les Turcoples, tous ces ennemis que les poèmes sur les croisades rendirent si vite populaires ; on y trouverait des mots empruntés aux musulmans, comme aride, soudan, aux Grecs, comme timbre ; on y parlerait de Nique (Nicée), de Rohais (Édesse), d’Antioche».

 

Or Jéricho de Palestine est la seule ville de ce nom qui soit universellement connue. Et ses premiers habitants étaient les Chananéens, les Chanelius ou Canelius cités au vers 3238 ! Malheureusement pour cette théorie, Jéricho d’Épire a été connue des Occidentaux bien avant Jéricho de Terre Sainte. Voyez Anne Comnène (2) :

 

«Quant à Bohémond, le plus jeune de ses fils, qui ressemblait tout à fait à son père par l’audace, la force, le courage, le tempérament indomptable (sous tous égards, en effet, il était la réplique de son père et l’image vivante de sa personne), il l’envoya avec une très puissante armée sur notre territoire pour envahir les environs d’Avlona. Dès son arrivée, menaçant et avec un élan irrésistible, Bohémond tomba comme la foudre sur Kanina, Jéricho et Avlona dont il s’empara successivement».

 

Jéricho est encore citée dans l’Alexiade, au début du cinquième chapitre du livre XII et à la fin de ce même chapitre, puis au milieu du chapitre VII. Son port est mentionné (Alexiade, IV, 3) à propos des opérations de Robert Guiscard. Si la plupart des commentateurs de la Chanson de Roland n’en ont rien dit, c’est évidemment parce qu’ils n’ont pas songé aux événements de 1081-1085. C’est aussi parce que les cartes d’Épire et d’Albanie, sauf une, Albania Medievale de l’Enciclopedia Italiana, ne portent pas ce nom de lieu.

 

 

(1) Romania, t. XXXI, 1902, p. 411 ss. Cité par Bédier, II, Comm. p. 43. Cf. notre article sur l’épopée byzantine, cité p. 269, n. 1. Nous y expliquons pour la première fois Agolans et Açopars.

(2) Alexiade, 1. I, ch. 14, § 4 (Leib, p. 53 ; Bonn, p. 70) : Ὁ δὲ αὐτίκα ξὺν ἀπειλῇ καὶ ἀκατααχέτῳ ῥύμῃ καθάπερ τις ἐπιρρυεὶς κεραυνὸς τῶν τε Κανίνων καὶ Ἱεριχὼ καὶ τοῦ Αὐλῶνος παντὸς ἐπελάβετο καὶ ἀεί τι τὰ ξυμπαρακείμενα ᾕρει καὶ ἐπυρπόλει μαχόμενος.

 

 

277

 

Il est pourtant très célèbre et cité une bonne soixantaine de fois par les auteurs classiques, mais toujours sous la forme Ὠρικός, en latin Oricum (Horace, Odes, III, 7, 335). Ce n’est qu’à l’époque byzantine que ἡ Ὠρικός est devenue Jéricho, peut-être sous l’influence de quelque église ou de quelque monastère. Nous avons retrouvé Hericum, forme intermédiaire, dans Malaterra (1). Ce port était au fond du golfe d’Avlona, et il semble qu’on l’appelle aujourd’hui encore Eriko (Lorico des portulans). Quant aux Canelius, il est exact que les historiens des croisades et en général les textes français du moyen-âge donnent ce nom aux Chananéens ; et c’est aussi un terme injurieux dont Gérard de Roussillon se sert pour invectiver Charlemagne (2). Mais, de même que les Normands trouvèrent Butentrot et Jéricho en Épire avant de les reconnaître en Asie, ils ont trouvé près d’Avlona les Chanineis ou gens de Kanina (3) : car cette forme n’est qu’une variante ou un synonyme, si l’on veut, de Canelius. Dans la version de la Chanson de Roland donnée par V4, Chanineis est à peu près sûrement le texte primitif et authentique. Dans une note fort intéressante (4) de son Histoire du Roman (en russe), Veselovsky, après Paul Meyer, a étudié les deux séries de formes en l et en n, et fait observer très justement que nous avons affaire ici à une sorte de jeu de mots. Dans la légende de Saint Christophe à tête de chien, le saint est dit «cynocephalus, id est canini capitis», mais aussi «natione et ritu Chananeus». En d’autres termes, les Chananéens sont de la canaille» et les habitants de Kanina, étymologiquement, ne pouvaient être que des chiens et des infidèles.

 

 

(1) De rebus gestis Rogerii Comitis, accurante E. Pontieri, in Rerum Italicarum Scriptores, de Muratori, nouvelle édition : tomo V, parte prima, Bologne, 1928, p. 71 (ch. XXIV) 1. 36 : in portum qui Hericum dicitur.

(2) Au vers 1500 de cette chanson de geste.

(3) Τὰ Κάνινα est mentionné par le chrysobulle de Basile II à l’archevêque d’Ochrida, cf. Gelzer, Byz. Zeit., II, 1893, p. 42, 1. 22. Remarque de Gelzer, ibid., p. 50 : «den Namen trägt noch heute ein Städtchen wenig südlich von Avlona. Bei den Byzantinern wird die Stadt ausserordentlich häufig erwähn ».

(4) A. Veselovskij, Histoire du Roman (en russe), dans Sbornik de la Section de langue et de littérature russes de l’Académie Impériale des sciences, t. XL, n° 2, St-Pétersbourg, 1886, pp. 453-501,

 

 

278

 

Les envahisseurs normands, dès leur débarquement, ont aimé à se figurer qu’ils étaient en terre païenne. Les noms bibliques ou quasi bibliques de Jéricho et de Kanina légitimaient pour ainsi dire leur conquête. En tout cas, «ceux de Jéricho »et les Chanineis sont loin d’être dépaysés, dans l’épisode de Baligant, à côté de «ceux de Butentrot». S’il nous fallait une confirmation en ce qui concerne les Chanineis, nous la trouverions dans une détermination géographique assez précise que nous offrent les vers 3237-39, laisse CCXXXIII :

 

Dis escheles establisent après.

La premere est des Canelius les laiz :

De Val Fuit sun venuz en traver ;

 

Comme nous le verrons tout à l’heure, tous les noms précédés de Val sont des noms de fleuves ; il suffit de jeter un coup d’œil sur la carte pour identifier le Val-Fuit, c’est la Vojussa ou Vojutza, ou Viossa des Albanais modernes (1) ; l’ancien Aoos citée par Anne Comnène qui s’excuse (X, 8) de l’appeler Βοοῦσα (var. Βόσα?) nom barbare, dit-elle : «Mais Homère n’a pas craint de parler des Béotiens». Les Chanineis sont venus en travers du Val-Fuit, parce que le centre du combat ou plutôt de la grande guerre d’Épire, pour Anne Comnène comme pour Malaterra et Guillaume d’Apulie, c’est le siège véritablement homérique de Dyrrachium-Durazzo.

 

 

(4) Baile, Balie et Gloz de la «Chanson» sont les caps Pali et Glossa.

 

Mais avant d’en venir au récit de ce siège, il nous faut parler des opérations maritimes des Normands. La flotte de Guiscard, en 1081, fut durement éprouvée près du promontoire le plus caractéristique de la côte épirote.

 

 

(1) Dans l’article de H. Gelzer, Ungedruckte und wenig bekannte Bistümenerzeichnisse der orientalischen Kirche, Byzantinische Zeitschrift, t. II (1893), pp. 22-72, on trouve citées (p. 49) les formes : Βιῶσα, Βοοῦσα, Βουῆσσα, d’après Golubinsku, Histoire des Églises bulgares, serbe et roumaine, Moscou, 1871 (en russe), p. 59. C’est la forme Βουῆσσα qui est la plus proche de «Val-Fuit».

 

 

279

 

On se rappelle qu’après la jonction des deux chefs, Bohémond devait gagner par terre Dyrrachium, tandis que Robert, avec ses navires, allait de Butrintot à Corfou et de Corfou vers le nord. Alexiade, III, 12, 4 :

 

«II avait dépassé Corfou et allait toucher Dyrrachium quand, près du cap Glossa, il fut pris à l’improviste dans une furieuse tempête».

 

On peut lire la suite, qui occupe toute la fin du livre III ; la description de ce naufrage permet à Anne de louer l’intrépidité héroïque de son ennemi : «qu’aucun des événements qui venaient d’arriver ne détourna du but qu’il s’était proposé». Un autre cap joue un grand rôle dans toute cette histoire ; c’est celui qui s’appelle aujourd’hui encore Pâli, au nord de Durazzo. Voyez Alexiade, IV, 2, 3. La flotte vénitienne arrive au secours des Byzantins :

 

«Après avoir effectué une longue navigation, ils arrivèrent au sanctuaire élevé depuis longtemps en l’honneur de la Mère de Dieu Immaculée, à Pallia. C’est le nom de cet endroit qui était éloigné de dix-huit stades environ du camp de Robert aux environs de Dyrrachium.»

 

Si l’épisode de Baligant et son dénombrement contiennent, comme nous le supposons, de nombreux souvenirs des événements de 1081-1085, il faut s’attendre à y trouver les deux caps de Pâli et de Glossa. On ne les repérera pas tout de suite dans le manuscrit d’Oxford, mais ils sont clairement dans C : «de Baile et de Gloz». V7 a corrompu Baile en Albeigne, qui est d’ailleurs significatif. Et le cap Pali est encore parfaitement reconnaissable dans dR, dK, dS, sous les formes Paligêâ, Balie, et même, à y regarder de près, dans O : «E la disme est de Balide la fort». Quant à V4, il a tout naturellement changé Pali en Baligera, en souvenir du Balaguer espagnol de la première partie. Pâli reparaît encore dans O au vers 3255, sous la variante Baldise, et ce vers peut être considéré comme une magnifique confirmation de notre identification, puisque Baldise est suivie de l’épithète géographiquement correcte de «la lunge» Enfin Gloz revient dans dK sous la forme Galosa. Ajoutons que la plupart des commentateurs avaient admis que Baldise et Balide représentaient le même nom. On voit une fois de plus combien précieux sont les prétendus détériorés.

 

 

280

 

 

(5) Les corps de troupe de l’armée d’Alexis Comnène : Pinceneis, les Petchenègues.

 

Résumons les résultats déjà acquis. Les laisses CCXXXII, CCXXXIII et CCXXXIV de la Chanson de Roland transforment en «escheles» sarrazines les noms de cités et de lieux épirotes conquis par Robert Guiscard et par Bohémond dans leurs campagnes de 1081 et des années suivantes : Butentrot, Jéricho, Kanina, le cap Glossa, le cap Pali, sans parler de la Vojussa.

 

Les cinq dernières identifications confirment la première, faite déjà par Francisque Michel. Sur Jéricho d’Épire, en particulier, depuis notre communication à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, le 12 mai dernier, l’accord semble unanime. Quelques-uns de nos savants confrères nous ont même conseillé de nous en tenir là, pour échapper au reproche qu’encourent tant de système exégétiques qui ont l’ambition démesurée de rendre compte de tout : «alles restlos erklären».

 

Mais ces noms n’évoquaient que les premiers épisodes d’une véritable épopée : le siège de Durazzo et la grande bataille contre l’armée byzantine peu à peu rassemblée aux ordres de Georges Paléologue, commandant de Durazzo, et de l’empereur Alexis lui-même.

 

«Il est impossible, dit Chalandon (1), d’évaluer les troupes que Comnène avait pu réunir. Les chroniqueurs donnent tous des chiffres différents. Tout ce qu’on peut conclure de leurs renseignements contradictoires ; c’est que le nombre de soldats «grecs » était assez élevé. C’était une de ces armées comme Byzance en avait le plus souvent, où toutes les races, toutes les religions, toutes les langues étaient représentées.... Nous voyons que l’armée byzantine comprenait des Russes, des Francs, des Anglais, des Allemands, des Bulgares, des Alains, etc. Ce qu’il y a de plus intéressant à noter, c’est la présence d’Anglais au service de l’empereur.... L’armée comprenait en outre des Macédoniens et des Thessaliens ; on y trouvait encore des Turcs d’Ochride...

 

 

(1) F. Chalandon, Essai sur le règne d’Alexis Ier Comnène, Picard et fils, Paris, 1900, pp. 75-77.

 

 

281

 

Puis c’étaient les Manichéens de Philippopoli, descendants des célèbres Pauliciens du Liban (sic) transplantés en Thrace... les Varangues (Russes), gardes du corps des basileis... »

 

Puisque donc nous sommes en Épire, et dans l’Épire des années 1081-1085, nous sommes-nous dit, il faut tenter une sorte de contre-épreuve. En particulier, le dénombrement de Baligant, parmi ses nombreux noms de peuples, ne recélerait- il pas quelques-uns des éléments de l’armée, ethniquement si bigarrée, qu’Alexis Comnène opposa aux Normands? Le lecteur, sans doute, nous donnera raison d’avoir confronté la liste de Baligant avec l’énumération des corps de troupes d’Alexis, que l’on trouve aussi bien dans les sources historiques narratives que dans les pièces d’archives contemporaines. Commençons par le nom propre le moins ambigu, à savoir par les Pinceneis. Alors que la plupart des autres vocables sont marqués dans la table de Bédier de la croix de Saint André qui désigne les peuples fantaisistes ou non identifiés, «Pinceneis» est résolument traduit, par les plus sceptiques des commentateurs, «Petchénègues» ; et, en effet, le doute ici n’est pas permis. Il s’agit des Pincinnati, fréquemment nommés par les historiens des croisades et d’autres sources. Citons Bédier, II, p. 51 :

 

«Les Normands de Sicile se heurtèrent au passage du Vardar à un corps de Petchénègues à la solde de l’empereur de Byzance : «Bulgari, Comanitae, Hungari, plurimis cum Pincenariis», telle est la liste que dresse Albert d’Aix des peuplades qui accablèrent les compagnons de Pierre l’Ermite».

 

Mais Joseph Bédier aurait dû insister sur un point : les Petchénègues, en 1081-1085, fournissaient de nombreux contingents à l’armée byzantine (1). Comme la chose n’est pas généralement connue, on nous permettra de préciser. Le regretté Cari Neumann, dans un excellent article de la Byzantinische Zeitschrift, III, pp. 373-385, a fait l’histoire de ces troupes généralement désignées par les Byzantins au moyen des noms de deux des tribus petchénègues, les Talmates, ou Talmatzi, et les Koulpingi. Voici les faits.

 

 

(1) On l’a vu plus haut, le regretté Chalandon, dans son énumération d’ailleurs assez inexacte, oubliait précisément les Petchénègues !

 

 

282

 

Dans son traité De administrando Imperio, écrit en 950 environ, l’empereur Constantin Porphyrogénète énumère au ch. 37 les tribus petchénègues habitant à l’est du Don, et nomme entre autres les Κουλπέη et les Τάλματ. Or, dans son livre Des Cérémonies (Bonn, pp. 579, 664, 667) à propos de l’expédition de Crète de 949, et d’une revue passée à Constantinople, le même empereur cite, à côté des mercenaires russes servant dans la marine, les Talmatzi. Quant aux Koulpei, ils apparaissent sous la forme Koulpingi dans divers actes, l’un de Michel VII Doucas de 1074 (1) (Russes, Varangues, Koulpings, Francs, Bulgares, Sarrazins) et l’autre d’Alexis Comnène, daté de 1088 (Miklosich et Müller, Acta et diplomata graeca VI, pp. 44 ss. ou Zachariae v. Lingenthal, Novellae constitutiones XXX) (2) qui dit :

 

«Ῥώσων, βαράγγων, κουλπίγγων, ἰγγλίνων, φράγγων, νεμίτζων, βουλγάρων, σαρακηνῶ῎, ἀλανῶν, ἀβασγών ἀθανάτων καὶ λοιπῶν ἁπάντων ῥωμαίων τε καὶ ἐθνικῶν.»

 

A ces textes cités par Neumann, j’ajoute des renvois aux Actes de Lavra, n° 31, éd. Rouillard, 1079, p. 83, n° 37, éd. Rouillard, 1081, p. 100, et enfin n° 41, éd. Rouillard, 1086, p. 111. Neumann concluait :

 

«Er wird wohl niemand zweifeln dass (im De Administrando) unter den Petschenegen die Kulpinger und Talmatzer byzantinischer Akten gefunden sind ; die armen Seelen dieser Völker glaube ich erlöst zu haben».

 

Un passage d’Anne Comnène avait été parfois allégué contre le fait de ce service militaire byzantin d’une partie des Petchénègues ; mais Neumann (p. 377) a brillamment démontré que ce témoignage était sans valeur. Citons encore Neumann (p. 382) :

 

«Als Johannes Bryennios mit skythischen (petschenegischen) Soldaten auf Konstantinopel marschierte, heisst es : οὐ τῶν ξένων καὶ μισθοφόρων ἀλλὰ τῶν πρὸ πολλοῦ αὐτομολησάντων ὑπὸ τὴν βασιλείαν Ῥωμαίων (Nikeph. Bryennios, 114). Er hatte also jene Mitte des 11. Jahrhunderts angesiedelten Petschenegen für sich gewonnen. Die auswärtigen Petschenegen aber, die in griechischen Solddienst traten, waren entweder ursprünglich Kriegsgefangene oder vertragsmässige σύμμαχοι.

 

 

(1) Confirmé en 1079 par Nicéphore Botaniate. Cf. Miklosich et Müller, Acta et Diplomata graeca, V, pp. 137 et 143.

(2) Jus graeco-romanum III, p. 370, réédition Zepos, I, p. 317,

 

 

283

 

Die seit der Mitte des 11. Jahrhunderts nicht mehr ruhenden Einfälle dieses Volkes über die Donau endeten wohl häufig mit der Aufnahme eines Teils von ihnen in den Solddienst (Nik. Bryennios 117), und aus diesen Kriegen schreibt es sich also her, dass wir in den Urkunden vom Ende des 11. Jahrhunderts mehr als einmal petschenegische Söldnerkorps (unter dem Namen Kulpinger) finden».

 

Cf. aussi pp. 383 et 384 :

 

«Als bei einem griechischen Angriff aus die apulische Küste 1107 der Normanne Bohemund einige von diesen Petschenegen in seine Hand bekam, stellte er sie dem Papst vor, damit er sehen solle, mit was für ungläubigen Wilden der Kaiser von Konstantinopel gegen Christen Krieg führe.»

 

C. Neumann a oublié d’indiquer la référence : il s’agit du curieux passage de l’Alexiade, 1. XII, 8, p. 167-8 de Bonn, sur lequel nous reviendrons (1). Mais notons finalement que si le rôle des Petchénègues dans l’armée byzantine a été longtemps méconnu, ce n’est pas seulement parce que les actes les appellent Koulpings ; c’est surtout parce que les auteurs et particulièrement Anne Comnène les qualifient de Scythes. Sur l’identité des Petchénègues et des Scythes, cf. les travaux tout récents de Μ. Necşulescu dans la Revista Istorică Română, VII, 1937, pp. 122-155, et VIII, 1938 (15 pages dans le tirage à part).

 

 

(6) La preuve «couronnante» : les «Micenes (Nices) aux chefs gros» sont les Nemitzes (Νέμιτζοι) ou troupes allemandes de la garde d’Alexis.

 

On a remarqué que dans quelques-uns des textes cités, les Petchénègues-Koulpings figurent à côté des Nemitzi. Grâce à ces textes, et grâce aussi à une critique orale de Μ. Mario Boques (2), nous avons pu renforcer considérable

 

 

(1) Voyez Notes complémentaires.

(2) A la séance de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres où notre théorie a été exposée pour la première fois, nous avions tenté d’établir un rapprochement entre les Micenes et les Turcs de Nicée. Μ. Mario Roques a attiré notre attention sur le signalement très caractéristique des vers 3221-23. Nous nous sommes alors rappelé le passage de Théophane, qui avait fait, jadis, le sujet d’un mémoire de notre maître Godefroid Kurth, dans le Bulletin de la Classe des Lettres de l’Académie Royale de Belgique, 65e année, troisième série, tome XXX, Bruxelles, 1895, pp. 580-590, sous le titre : Une Source Byzantine d’Éginhard.

 

 

284

 

ment notre thèse en identifiant la seconde «eschele» de Baligant.

 

E l’altre après de Micenes as chiefs gros

Sur les eschines qu’il unt en mi les dos

Cil sunt seiet ensement cume porc.

 

Or, les trois corps d’armée considérés par Anne Comnène comme les plus fidèles sont : 1° les Immortels, 2° les Varangues de Thulé, 3° les Nemitzi. Le passage classique est le chapitre 9 du livre II, paragraphes 4 et 5. Il s’agit de la prise de Constantinople par les Comnènes :

 

«Il cherchait donc quels étaient les hommes qui gardaient les tours en chaque endroit. Quant il sut qu’ici se trouvaient ceux que l’on appelle les Immortels (c’est un régiment tout à fait spécial à l’armée romaine), là les Varangues de Thulé, ailleurs les Nemitzi, il conseilla à Alexis de ne pas plus se risquer du côté des Varangues que de celui des Immortels.»

 

Et finalement c’est le chef des Nemitzi nommé Gilpract (ch. 10) qui se laisse tenter. Le nom de Nemitzi ou Germains est, comme on le sait, slave : c’est un nom qu’un adversaire des Byzantins a pu entendre, sans se rendre un compte exact de la nationalité de ces hommes. Mais on voit d’ailleurs que le poète ne les connaît que par ouï-dire, puisqu’il leur prête un aspect monstrueux et fabuleux. Il n’est pas jusqu’à ce signalement des Germains qui ne soit d’origine byzantine. En effet, Théophane dit que les «Francs chevelus» avaient des soies de porc sur l’échine ! (1).

 

 

(1) Année 6216 : éd. de Bonn, I, p. 619, p. 13-15 ; éd. de Book, I, p. 402 : Ἐλέγοντο δὲ ἐκ γένους ἐκείνου καταγόμενοι κριστάται ὃ ἐρμηνεύεται τριχοραχάται · τρίχας γὰρ εἷχον κατὰ τῆς ῥάχης ἐκφυομένας ὡς χοῖροι. Cf. le mémoire de Godefroid Kurth, cité à la page précédente. Kurth explique d’une manière très satisfaisante l’origine de la légende. Il a raison de ne pas croire à une interpolation. D’ailleurs, le passage se retrouve dans la version d’Anastase (à l’année 6234, p. 272 De Boor), et aussi dans Cédrénus-Skylitzès. Il est donc établi qu’à la fin du XIe siècle, les Byzantins croyaient ou feignaient de croire que les «Francs» avaient sur l’échine des soies de porc. On peut comparer cette historiette à la légende des Anglais «coués», si répandue en France au temps de la Guerre de Cent Ans.

 

 

285

 

Ce détail concerne les Francs dans Théophane ; or, pour les Byzantins, Φράγκοι et Γερμανοί, c’était tout un... (1). En tout cas, il faut reconnaître que l’identification des Micenes, avec les Nemices (il n’y a entre les deux formes que la différence d’une métathèse), déjà vraisemblable à cause de l’importance du corps de troupes, la deuxième «eschele» dans Roland et la troisième dans Anne, gagne en probabilité grâce au détail des soies de porc, qui, à notre connaissance, ne figure que dans Théophane, à propos précisément d’un peuple germanique. Et nous avons mieux encore en ce qui concerne la composition de l’armée byzantine de 1081 à 1086, que les développements oratoires d’Anne Comnène. Nous avons les actes émanés de la chancellerie des empereurs, Alexis Comnène en personne et ses prédécesseurs immédiats. Nicéphore Botaniate, en juillet 1079, accorde au monastère de Lavra, à l’Athos, l’exemption du logement militaire à l’égard de toute espèce de troupes, régulières ou irrégulières, y compris les contingents auxiliaires, et ces contingents sont énumérés dans cet ordre : Russes, Pharangs (pour Varangues) Koulpings, Francs, Bulgares, Sarrazins. En 1081, l’empereur Alexis Comnène accorde au vestarque Léon Képhalas confirmation d’une donation de terre à charge de payer l’impôt mais moyennant exemption du logement de troupes. Parmi les auxiliaires, il faut noter les Russes, les Varangues, les Koulpings ; mais pour la première fois apparaissent les Anglais (Ἰγγλίνων) et les Nemitzi (Νεμίτζων). Les Francs ne sont plus nommés, très probablement parce que, depuis le conflit byzantino-normand, l’emploi de ce nom ethnique prêtait à confusion. Les Normands se qualifiaient de Francs : on préféra donc donner aux alliés germaniques de Byzance le nom que leur attribuaient les Slaves. Mais le fait de l’identité des Νέμιτζοι et des Φράγκοι explique admirablement que les «Micenes» de la Chanson de Roland se voient «infliger» le physique grotesque des Francs de Théophane. Ce chroniqueur, dans la traduction latine d’Anastase le Bibliothécaire, semble même être la source de la Chanson :

 

 

(1) Voyez Notes complémentaires.

 

 

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pilos enim habebant natos in spina veluti porci. Les vers de la Chanson sont une traduction presque littérale de ce latin.

 

Enfin le chrysobulle de mai 1086 d’Alexis Comnène, toujours sur la demande de Léon Képhalas, confirme la donation qu’il lui a faite, en récompense de sa défense de Larissa contre Bohémond, de la propriété de Chospiane. Ici la clause d’immunité reparaît et les troupes énumérées sont, dans l’ordre : Russes, Varangues, Koulpings, Anglais, «Nemitzôn», Bulgares, Sarrazins, Alains. Ici non plus les «Francs» ne sont pas nommés (1).

 

 

(7) Durazzo, la Macédoine et la Thessalie.

 

Outre l’armée byzantine, on vit paraître sous Durazzo l’armée serbe du roi Bodin, dont la trahison devait entraîner la déroute des forces impériales. On sait que celle-ci fut complète et qu’Alexis Comnène, sans escorte, s’enfuit vers Ochrida, tandis que Georges Paléologue, commandant de Durazzo, commit la faute de quitter la place pour rejoindre son souverain, et n’y put plus rentrer. Finalement, Durazzo tomba. Robert Guiscard se dirigeait sur Castoria, que la garnison lui rendit, lorsque l’insurrection de la Pouille et les appels angoissés de Grégoire VII, menacé par Henri IV, le rappelèrent en Italie (avril-mai 1082). Bohémond continua les opérations :

 

«Il alla mettre le siège devant Joanina. C’est précisément dans cette région que nous trouvons mentionnés, par l’auteur du Stratégikon, les préparatifs d’un soulèvement des Valaques, dans les environs de Metzovo, à la nouvelle de l’expédition de Guiscard en 1066. Nous savons, toujours d’après les mêmes sources, que ces Valaques étaient loin d’être soumis et se montraient peu fidèles à l’Empire. On peut, je crois, supposer qu’il y eut entente entre les Normands et les Valaques, car autrement la marche de Bohémond de Kastoria vers Joanina,

 

 

(1) Germaine Rouillard et Paul Collomp, Actes de Lavra, Paris, 1937. N° 31, p. 83, I. 30 ; n° 37, p. 100, 1. 4 ; n° 41, p. 111, 1, 31, à 32.

 

 

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franchissant la chaîne du Grammos en laissant derrière lui toute une série de places encore aux mains des Grecs, s’expliquerait difficilement. Il est probable que, sachant pouvoir compter sur l’appui des Valaques, il se dirigea de ce côté afin d’avoir vers le sud une base d’opérations solide comme celle que Durazzo lui faisait au nord (1)».

 

 

(8) Serbes, Esclavons. Bulgares de Samuel.

 

Les combattants normands de 1081-1085 devaient donc posséder une certaine érudition «balkanologique», qui apparaît dans les laisses CCXXXII et CXXXIII. On reconnaît à l’œil nu les Sorbres ou Serbes, et leur doublet les Sorz (2) (vers 3226), les Esclavons (vers 3225). Il n’est pas étonnant que quelques autres noms, trop déformés, ne s’identifient pas avec certitude ou appartiennent à des peuples qui dès lors avaient disparus, comme les Avares, Avers, au vers 3242. Mais en revanche contre, il n’y a aucun doute sur la «gent Samuel», par laquelle l’auteur entend les Macédoniens de la «Bulgarie occidentale», royaume du fameux Samuel (3), dont le nom continue d’être porté par ses descendants servant dans l’armée byzantine.

 

 

(9) Les Nubles (Publes), ou Pauliciens. Torleus = Traulos.

 

Et nous n’avons guère de doute non plus sur l’identité des Nubles du vers 3224. Voisins des Russes, des Esclavons et des Serbes nous croyons qu’ils représentent (ce qui d’ailleurs est presque postulé par l’allitération, les Publes, c’est-à-dire les Publicani ou Pauliciens.

 

 

(1) Chalandon, op. cit., pp. 85-86.

(2) Le doublet s’explique peut être par l’existence de la forme Σέρβλοι, familière au Porphyrogénète, et qui pouvait paraître s’appliquer à un autre peuple que Σέρβοι.

(3) Sur Samuel et toute sa famille, cf. le travail complet, absolument décisif, de N. Adontz, Samuel l’Arménien, Mémoires de l’Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, Collection in-8°, t. XXIX, Bruxelles, Palais des Académies, 1, rue Ducale, 1938, 64 pages.

 

 

288

 

Les byzantinistes n’ont pas besoin de commentaires sur ce chapitre. Ils savent tous que les Pauliciens sont des Manichéens ou des Marsionistes des confins pontiques et arméniens durement persécutés par les empereurs byzantins du VIIe au VIIIe siècle. Plusieurs milliers d’entre eux avaient été transplantés en Thrace par Constantin V (1) au milieu du VIIIe siècle. Ils y pullulèrent et vers l’an 870, Pierre de Sicile qui avait visité Téphrique, la capitale de ces Hussites d’Orient, organisés en république militaire entre Byzance et l’Islam, écrivait au nouvel archevêque de Bulgarie pour lui signaler les dangereux contacts qui s’établissaient entre le gros de la secte ou de la nation, et ces colonies thraco-bulgares. Une réforme des Pauliciens donna naissance aux Bogomiles, et la migration de ces sectaires vers l’ouest aboutit à l’hérésie albigeoise. Sous Alexis Comnène, les Pauliciens sont à l’ordre du jour. Tracassés, cela va sans dire, et souvent en révolte contre l’Empire, ce sont eux (leur centre était Philippopoli) qui appelèrent les Petchénègues en 1085. Nous savons que tout un corps de Pauliciens, originaires précisément de Philippopoli et commandés par deux chefs nommés Xantas et Kouleon, faisait partie de l’armée d’Alexis devant Durazzo (2). Le basileus, après sa grande défaite, étant retourné à Constantinople, les Pauliciens désertèrent ou plutôt se retirèrent en masse dans leurs foyers (Alexiade, V, 3, 232 Bonn). Cette trahison fut châtiée ; mais le châtiment prit la forme bien byzantine d’une persécution religieuse et provoqua en 1084 sans doute, une nouvelle révolte, celle du chef manichéen Traulos (3).

 

 

(1) Ces Pauliciens furent renforcés encore dans la région de Philippoli par l’empereur Jean Tzimiskès, qui pensait former dans cette province une barrière contre les envahisseurs du Nord. Mais l’hérésie, dit justement Chalandon, devint dans cette région l’expression de l’opposition nationale contre le gouvernement des Grecs au point de vue politique et religieux.

 

(2) Sur les Pauliciens, cf. notre mémoire : Les Sources de l’Histoire des Pauliciens, Pierre de Sicile est authentique et «Photius» un faux, Bulletin de la classe des Lettres de l’Académie royale de Belgique, 5e série, t. XXII, 1936, et notre note dans le même tome, même année, intitulée Sur l’histoire des Pauliciens.

 

(3) Sur la révolte de Traulos, voyez F. Chalandon, op. cit. pp. 105 à 108, qui cite naturellement les textes d’Anne Comnène. — Traulos, en 1084-5, fait figure de souverain, et de puissant souverain balkanique. Il s’allie avec les Petchénègues, épouse la fille de l’un de leurs rois. Chalandon dit justement :

 

«L’alliance avec les barbares mettait à sa disposition des forces considérables, qu’on pouvait augmenter facilement en faisant appel aux tribus errantes de la rive gauche du Danube, qui ne demandaient qu’une occasion pour venir piller l’Empire, et au besoin attaquer la ville gardée de Dieu, dont les richesses étaient le but suprême de toutes les convoitises des barbares. La tâche des envahisseurs devait être d’autant plus facile que les défilés des Balkans, si dangereux et si difficiles à franchir, étaient occupés par Traulos, qu’il les tenait ouvert à ses alliés, et fermés aux soldats d’Alexis (Anne Comnène, 1. VI, ch. 4, pp. 279-80, Bonn)»

 

F. Chalandon, toutefois, oublie un détail important. Au début du chapitre V, Anne Comnène dit formellement qu’Alexis réussit, pour un temps, à se concilier le puissant Traulos en lui accordant un chrysobulle d’«indemnité». Traulos en profita pour gagner en masses les Scythes (c’est à dire les Petchénègues) et pour s’en faire une puissante armée. Mais nous le répétons, officiellement Traulos et ses Pauliciens étaient de nouveau les alliés de l’empereur au moment où Bohémond, ayant perdu presque toutes les conquêtes normandes, demeurait inactif aux environs d’Avlona (1085). On devine peut-être notre conclusion. L’un des chefs ennemis commandant en second l’armée de Baligant est Torleus (qualifié de «roi persis» au vers 3204). Plutôt que de l’identifier avec Turlough, «the Irish king of Munster in the XIth Century » (note de Jenkins, au vers 3204), il faut reconnaître que nous serions fondé à poser l’équation Traulos = Torleus.

 

 

289

 

Nos ancêtres ont très bien connu les Pauliciens ; ils les ont même vus là où ils n’étaient pas et se sont amusés très bibliquement à les travestir en Publicains. Robert le Moine, à propos de la bataille de Dorylée : «Persae, Publicani, Medi, Syri, Chandei (sic), Sarraseni, Agulani, Arabes, et Turcae sicut locustae ibi convenerant» (1). Envieux français, Publicani devrait donner normalement Puilliens. Et cette forme plus régulière se rencontre en effet dans la Chanson; mais elle est ambiguë et peut représenter Pulliani = Apulliani. Au vers 2922 on peut hésiter. Charlemagne dit :

 

Encuntre mei revelerunt li Seisne

E Hungre e Bugre e tante gent averse,

Romain, Puillain et tuit cil de Palerne

E cil d’Affrike e cil de Califerne (2).

 

 

(1) Historiens des Croisades, Occidentaux, T. III, p. 763.

(2) Nous sommes convaincu que le fameux Califerne n’est qu’une métathèse de Kephalinia. Plus tard, on fera de ce nom «impressionnant» qui devait voyager jusqu’en... Californie, la siège du califat, c’est-à-dire Bagdad. Voir Notes complémentaires.

 

 

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«Hungre e Bugre» pourrait nous inciter à traduire «Romain» par Byzantins et «Puillain» par Pauliciens, maisla révolte de la Pouille contre Robert Guiscard est l’un des épisodes les plus critiques de son règne (1) et en définitive, comme la plupart des commentateurs, à cause du voisinage de Palerme, nous préférons rendre ici Puillain par «ceux de la Pouille». Cette homonymie possible est probablement la raison pour laquelle, énumérant des peuples balkaniques dans le dénombrement de Baligant, l’auteur préfère la forme *Publes, empruntée directement au latin «Publicani».

 

 

(10) Les Blos ou Blas : première mention des Valaques dans la littérature occidentale.

 

Les Publes (Nubles) sont cités avec les Blos. Ici nous ne balancerons pas à déceler les Valaques, qu’un siècle plus tard Villehardouin appellera Blas (latin Blasi). L’o est probablement dû à l’allitération, mais n’a rien d’étonnant car il y a une forme slave en o, Vlokh à côté de Vlakh. Le gain est d’importance pour l’histoire ; si notre conjecture se confirme, nous aurons ici la première mention des Valaques dans la littérature occidentale. Elle n’a rien de surprenant : nous le savons, dès 1066, les Valaques de Thessalie et d’Épire s’agitaient. On sait que cette population de langue romane, venue des régions danubiennes et d’abord nomade, est citée pour la première fois avec force détails par Kekaumenos, l’auteur du Strategikon, qui précisément écrivait vers 1085 (2).

 

 

(1) Cf. p. e. Heinemann, Geschichte der Normannen in Unter-Italien und Sizilien, I, pp. 321 ss.

(2) Strategikon de Kekaumenos, et commentaire de Vasilievsky, Journal du Ministère de l’instruction Publique Russe, juillet 1881, t. CCXVI, p. 130. On trouvera le passage de Kekaumenos aux pages 67, 68, 70 et 72-74 du Strategikon, éd. Vasilievsky-Jernstedt. Il est bon de noter que ce plus ancien témoignage sur les Vlakhs nomades confirme en somme la thèse roumaine, puisque Kekaumenos dit qu’ils sont d’origine dace et qu’ils habitaient sur les bords du Danube et de la Save à l’époque de Trajan. Voyez le commentaire de Vasilievsky sur le chapitre 186 du Strategikon, loc. cit., pp. 150 ss. Cf. une mention des Valaques dans les Actes de Laura (n° 47 de Lavra, éd. Rouillard, pp. 125-6, peut-être de l’an 1094). A la suite d’une plainte des moines, le basileus Alexis enjoint au percepteur du thème de contraindre les Koumans de Moglena, qui s’installent avec leurs troupeaux dans un pâturage appartenant à Lavra, à payer la dîme au monastère et à cesser leurs manœuvres irrégulières en faveur d’autres pâtres valaques et bulgares. Il existe un travail spécial sur l’affaire : G. Rouillard, La dîme des bergers valaques sous Alexis Comnène, dans Mélanges Iorga, 1933, pp. 779 à 786.

 

 

291

 

On a songé aussi, pour expliquer les Blos, aux Polovtzes, mais ils n’apparurent qu’en 1091 et ne figuraient pas au nombre des contingents de l’armée byzantine.

 

 

(11) Les Grecs, les Russes, les Varangues.

 

Il serait étonnant qu’aucune place ne fût faite aux Grecs proprement dits dans cette armée : ce sont eux que nous voyons former la neuvième «eschele», sous la forme «Gros» influencée par l’assonance, au lieu de Grieu. Il est indéniable que le scribe d’Oxford, ignorant l’identité de plusieurs de ces tribus, a altéré quelques noms pour en faire des adjectifs banals : il a changé les Ros ou Russes en Bruns, v. 3225, et c’est sans doute ce qui lui a donné l’idée d’introduire des Nigres ou Nègres au vers 3229 ; mais ces «Nigres», pas plus que les «Bruns», ne sont des formes originales ; ni Nigres, ni Bruns ne figurent dans aucune des autres recensions ; au lieu de Nigres, dR a Walgres, probablement pour Wangres (1) ou Varangues : la garde varangue étant le corps d’élite de l’armée byzantine : cf. Anne Comnène, II, 9,4 : «Là les Varangues de Thulé (j’entends par ceux-ci les barbares armés de haches), ailleurs les Nemitzi (c’est également un peuple barbare qui est depuis longtemps au service de l’empereur romain)» ; et notons en passant ce témoignage flatteur quant au loyalisme des Varangues :

 

 

(1) Pour la forme en W, cf. Malaterra, op. cit., ch. XXVII et XXIX, p. 74-75 : «Angli, quos Waringos appellant... trecenti enim Waringi...»

 

 

202

 

«quant à ceux qui portent l’arme sur l’épaule, ils se passent les uns aux autres comme une tradition ancestrale, comme un dépôt héréditaire, la fidélité envers les autocrators et la protection de leur personne : ils conservent inviolable cette foi envers l’empereur» (1). Les Normands eurent surtout à combattre les Varangues au siège de Castoria.

 

 

(12) Les Anglais.

 

Quant au vers 3248, il est curieux que l’on n’ait point aperçu les Englez, dans la graphie du manuscrit O d’Oxford. C’est précisément vers 1081 que, fuyant l’Angleterre occupée par les Normands, les insulaires ou les indigènes de File Britannique s’engagèrent en masse dans l’armée byzantine où ils avaient la satisfaction de pouvoir combattre contre leurs envahisseurs (2).

 

 

            (13) Ceux d’Occian : les Opsiciani, commandés par Docianus.

 

La plus mystérieuse des «escheles» est la dixième de la seconde série, laisse CCXXXIII :

 

E la disme est d’Occian le desert.

 

 

(1) Il y a une immense littérature sur la garde varangue des empereurs byzantins, et sur le remplacement des Varango-Russes par les Varango-Anglais. Le mémoire classique reste celui de Vasilievskij : La Družina varango-russe et la Družina varango-anglaise à Constantinople aux XIe et XIIe siècles, dans les vol. CLXXVI-CLXXVII-CLXXVIII (1874-5) du Journal du Ministère (russe) de l’Instruction Publique, reproduit dans le T. I des Œuvres (Trudy), Saint-Pétersbourg, 1908, pp. 176-377. Le dernier travail sur la question, avec bibliographie complète, est celui de Vasiliev : The opening stages of the anglo-saxon immigration to Byzantium in the eleventh Century, Annales de l’institut Kondakov, IX, Prague, 1937, pp. 39-70. Ces auteurs estiment

 

«that the main Anglo-Saxon migration took place not immediately after the fatal battle of 1066, but only at the end of William’s reign and at the outset of Alexis’ reign (1081), when indubitable signs appear of an Anglo-Saxon émigration into the Greek Empire. The first time the English are plainly indicated is in Anna Comnena’s account of the coronation of Alexis I (1081), the Varangians from (the island of) Thule ».

 

(2) Voyez la note précédente.

 

 

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Ces troupes étaient particulièrement redoutables ; à la fin de la laisse CCXXXIII,

 

«c’est une engeance qui ne sert pas Dieu. Jamais vous n’entendrez parler de pires félons : ils ont le cuir aussi dur que fer ; c’est pourquoi ils n’ont cure de haubert ni de heaume : à la bataille ils sont rudes et obstinés» (tr. Bédier).

 

 L’importance de cette troupe se marque par la fréquence de ses citations : vers 3286, 3474, 3517, en tout cinq mentions. Jenkins, dans une note au vers 3246, p. 227, de son édition de la Chanson de Roland, a parfaitement reconnu le nom du thème «Opsikianon». Il est exact que ce thème, dont la capitale était Nicée, était alors perdu pour Byzance, et Anne Comnène ne le mentionne jamais. Mais il pouvait y avoir encore, en 1081-1085, dans l’armée byzantine, un corps de troupes de ce nom. Toutefois nous préférons croire que le poète normand enregistre ici le souvenir de faits de guerre plus anciens. Lors des premières batailles qui mirent aux prises en Italie les Normands et les Byzantins, les premiers eurent à combattre (1041) les troupes de l’Opsikion. Voyez Cedrenus-Skylitzes, II, 546. La chronique de Bari dit que, dans cette affaire, «ceciderunt ibi multi Russi et Opsequiani» (ad annum 1041). Heinemann, Geschichte der Normannen in Unter-Italien und Sizilien, Ier Band (seul paru), Leipzig, 1894, p. 359, commet la même erreur que la Chanson de Roland en prenant ce corps de troupes, très régulier, des Opsequiani, pour un peuple barbare, «Hilfsvolk». La réduction d’Opsikiani à Occian n’a peut-être pas besoin de justification particulière. Toutefois, une circonstance remarquable peut servir à l’expliquer : le commandant de ces troupes, en 1041, s’appelait Docianus (Dokianos). Les Opsikiani étaient en même temps les hommes de Docian (d’Ocian) (1). Ainsi, au moins dans ce cas, le poète aurait conservé la mémoire du premier choc entre Normands et Byzantins, antérieur de quarante ans à l’expédition d’Épire.

 

 

(1) De même que le signalement des Νέμιτζοι = Nemices ou Germano-Francs (les soies de porc sur l’échine), celui des impies félons d’Occian se retrouve miraculeusement chez Théophane, p. 386, 1. 5 éd. de Book : οἱ δὲ παράνομοι λαοὶ τοῦ Ὀψγικίου, Anastase (p. 248) a traduit : iniqui Opsicii populi.

 

 

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(14) Les Lycanor ou Lycaoniens.

 

Ce qui achève de nous le persuader, c’est un nom gardé par la version rimée P (1), Lycanor. Ici il ne saurait y avoir de doute : les Lycanors ne peuvent être que les Lycaoniens et précisément les Lycaoniens paraissent dans les opérations de 1041. Voyez Cedrenus-Skylitzes, même passage : Dokianos, vaincu à Cannes, commet la faute de ne pas marcher contre l’ennemi avec toute son armée. Il se contente de rallier les Opsikiani et les Thracésiens avec les Pisidiens et les Lycaoniens qui, dit l’auteur, servent à compléter le tagme des fédérés (2). La mention de ceux d’Occian et de Lycanor donne au dénombrement de Baligant le caractère d’une véritable geste normande ; en même temps, comme les Lycaoniens n’existaient plus comme troupes byzantines à la fin du XIe siècle, il est naturel qu’ils aient disparu de la plupart des manuscrits.

 

 

(15) Baligant = (Georges) Paléologue.

 

On objectera peut-être que le plus grand événement de la guerre de 1081-1085, c’est-à-dire le siège de Durazzo, n’est pas représenté par ce nom géographique. C’est sans doute que le poète a voulu éviter les anachronismes trop flagrants. Ne l’oublions pas, l’action continue à se placer en Espagne et la grande ville païenne que Charlemagne veut conquérir et qu’il conquiert finalement est Saragosse. Il n’était pas trop contraire aux vraisemblances de faire figurer, dans l’armée païenne, dans l’armée sarrazine, des détachements de petites villes épirotes et des corps de troupes plus ou moins barbares,

 

 

(1) Voyez Stengel, Das alfranzösische Rolandslied, note au vers 3226.

(2) Sur les Lycaoniens et les Pisidiens, voyez le Taktikon Uspenskij réédité par D. Beneševič, et les notes de Beneševič, Die byzantinischen Ranglisten nach dem Kletorologion des Philotheos und nach den Jerusalemer Handschriften, dans Byz.-Ngr. Jahrbücher, t. V, pp. 133 et 147. Inutile de dire que la réserve de recrutement lycaonienne avait en 1081 disparu depuis au moins dix ans.

 

ADDENDA ET GORRIGENDA:

 

P. 294. — Baligant = Paléologue.

 

Cette identification fait l’objet d’un mémoire qui paraîtra dans le fascicule d’octobre du Bulletin de la Classe des Lettres de l’Académie de Belgique. Mais je note dès à présent que l’identification est prouvée par la Chanson elle-même, qui dit :

 

v. 2615 Ço ‘st l’amirail lo vieil d’antiquitet

Toz sorvesquiet e Virgilie e Omer.

 

Pourquoi Baligant, entre tant de héros, est-il le seul qui soit «antique», qui remonte, personnellement ou par ses ancêtres à l’époque de Virgile et d’Homère, c’est-à-dire à la geste troyenne? Évidemment parce que l’étymologie du nom de cet émir était connu du poète. Or, un panégyriste des premiers Paléologues, l’auteur du Timarion (milieu du XIIe s.) explique ainsi Παλαιόλογος : καὶ γοῦν ἐξ αὐτοῦ ἢ περὶ αὐτοῦ παλαιοί λόγοι φερόμενοι ἐπίκλην αὐτῷ τὴν ἀρχαιολογίαν ἠνεγκαντο».

 

Cela n’est rien encore. Mais nous savons que les Occidentaux eux-mêmes connaissaient le sens de ce composé grec, et qu’il les intriguait. A propos de Michel Paléologue, Otto de Freysingen dit ceci : «Ibi in confiniis Anconae Imperator castra ponens, Palaeologum (quod nos veterem sermonem dicere possumus) nobilissimum...» (De Gestis Friderici, I, lib. II, cap. 23).

 

Le premier de ces deux passages qui m’a mis sur la trace de l’autre (grâce au commentaire de Hase sur le Timarion) m’a été obligeamment signalé par l’érudition de Madame P. Wittek. Grâce à cette excellente collaboratrice, les exégètes de la Chanson de Roland ne seront plus embarrassés par l’étrange expression : «vieil d’antiquitet», appliquée à Baligant, et l’identité de ce dernier avec Georges Paléologue est définitivement prouvé.

 

 

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puisqu’après tout on a vu les chartes byzantines énumérer Russes, Varangues, Nemitzi, Bulgares, à côté des Sarrazins eux-mêmes. Mais substituer Durazzo à Saragosse eût été plus osé. Cependant les laisses de Baligant ont conservé au moins une trace certaine de ce siège épique, nous voulons dire celui de Durazzo : c’est le nom de Baligant lui- même, chef de la grande armée sarrazine. Nous y reconnaissons le nom même du général illustre qui commandait à Durazzo, Georges Paléologue (1). Le P initial sonnait comme B à l’accusatif précédé de l’article ; la réduction syllabique de liolo à li est toute naturelle, et quant à la finale, les Francs transformaient couramment l’ον de l’accusatif grec en an, en voici un exemple amusant : dans le roman de Florimont, d’Aimé de Varennes, ποταμόν devient Potamen ou Potamens :

 

Qui est Potamens appelés,

Ensi a-il nom en grijois,

Ne sais pas son nom en françois (2).

 

Et la Chanson fait de Canabeus (3) (noter la variante Carminel), le frère de Baligant : Comnène était, en effet, le beau-frère de Paléologue !

 

 

(1) Sur Georges Paléologue, incontestablement le plus grand général et l’un des premiers personnages du règne et même du siècle, cf. Chalandon, op. cit., on pourrait presque dire passim. Mais voyez surtout p. 45, 49, 78 et ss. Les deux grands adversaires aux prises devant Durazzo sont en réalité Guiscard et Paléologue : «Georges Paléologue et Robert Guiscard, dit Chalandon, rivalisaient de talents et d’habileté, l’un dans l’attaque, l’autre dans la défense.», Georges Paléologue est fréquemment mentionné par Anne Comnène, cf. Index Historiens de l’édition de Bonn, t. II p. 720.

 

(2) Tel est le texte donné par Veselovsky op. cit., p. 494. L’édition Hilka (Gesellschaft für Romanische Literatur vol. 48, Göttingen), donne, pour Potamens, les variantes suivantes : Podomen (texte adopté), Potamen, Podamen, Potamenz, Patamo, Pardamans, Rodomans, Podeurt (voyez le vers 852).

 

(3) Que Canabeus soit l’empereur (que les Normands ne reconnaissaient pas comme tel), cela est rendu certain par le nom de l’empereur byzantin Kanathous du Sayyid-Battal, l’un des princes qui régnèrent après 1071. Cf. notre mémoire cité plus haut, p. 269, n. 1.

 

 

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(16) Val Penuse, Malpreise.

 

Et quant à l’expédition de Bohémond en l’absence de Robert Guiscard, on en relève les étapes dans la Chanson. S’il n’est pas certain que Malpreise ou Malprose soit le petit lac de Prespa (en slave Mala Prespa), on ne doutera pas de l’identité du Val-Penuse avec le fleuve Πηνειός, où Bohémond subit une grave défaite au siège de Larissa ; et le Val-Sevrée pourrait être la ville macédonienne de Servia, ou encore le même Pénée, appelé par Anne Comnène Salaria (Alexiade, V, 6) (1). On se rappelle la scène pittoresque décrite par Anne : Bohémond, qui croyait prendre Alexis, se trouve lui-même encerclé lorsqu’il s’est attardé à manger des cerises dans une île du fleuve Salavria.

 

 

(17) Malprime = Mabrica, Mambrita c’est-à-dire Μαύρικας.

 

Mais revenons à la prosopographie. Le personnage de Malprime, fils de Baligant, mentionné six fois comme un jeune présomptueux, pourrait être Mavrix, chef de la flotte byzantine, appelé Mabrica par Guillaume d’Apulie (IV, 99) :

 

Classis Alexinae dux Mabrica venerat illuc.

 

Il n’est pas étonnant que le barde des Normands ait fait un sort à ce Mabrica, qui depuis plus de quinze ans était l’un de leurs ennemis les plus redoutables, car il avait repris Bari vers 1066 (2). Lupus Protospathaire, ad annum 1066, lui attribue même le mérite d’avoir empêché dès cette date un débarquement normand en Épire : «Lofredus comes, filius Petronii (il s’agit de Godefroid, fils de Pierre de Trani)

 

 

(1) Qu’il soit question de la Macédoine dans Baligant, voilà qui résulte de la mention d’Astrimonies au vers 3258 :

 

E la sedme est de Leus e d’Astrimonies.

 

Astrimonies est naturellement le fleuve Strymon ou le thème byzantin de ce nom.

 

(2) Cf. F. Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, I, p. 183.

 

 

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voluit ire in Romaniam cum multa gente, sed obstitit illi quidam ductor Graecorum nomine Mambrita» (cf. Heinemann, pp. 216 et 381).

 

 

(18) Le Chériant, Gharzanis, le Val Marchis, le royaume du roi Flurit.

 

Une dernière identification : le Chériant est sûrement le Charzanès d’Anne Comnène, (cité quatre fois : I, 203, 14, 205, 2, 221, 4, II, 203, 14 de l’édition de Bonn) et devenu Arzen, qui coule au nord de Durazzo. On ne trouve Chériant qu’une seule fois dans la chanson, au vers 3208. Baligant promet à Malpramis ou Malprime «un pan de son pays» :

 

Dès Chériant entres qu’en Val-Marchis.

 

Cette terre, nous dit-on, «fut al rei Flurit». Nous pensons qu’il s’agit de la principauté de Trébinje ou Dioclée qui s’étendait en effet de l’Arzen à l’extrémité ouest du lac de Scutari, où ce lac reçoit la Moraéa, dont beaucoup de géographes pensent qu’elle sort du même lac par l’émissaire appelé Bojana. Cette région était la marche frontière de l’empire byzantin au Nord-Ouest. Le roi Flurit (1) doit être le saint roi Vladimir de Dioclée, appelé plus tard Jean Vladimir, dont le culte est resté si fervent dans tout le pays albanais et monténégrin. Son souvenir aura été recueilli à Durazzo par les Normands ; et ils n’ont point cessé de s’y intéresser puisque un siècle plus tard exactement, il reparaît sous le nom de Florimont — plus proche d’ailleurs du prototype slave Vladimir—dans le roman de ce nom. Ici le doute n’est plus possible. Dans le roman de Florimont, en effet, le héros est fils d’un duc de Durazzo et il épouse la nièce du roi bulgare Camdiobras (sans doute Komitopoulos), qui règne dans l’île Celée, probablement l’île fameuse d’Achille dans le petit lac de Prespa, capitale de Samuel (2).

 

 

(1) Ce nom, populaire sans doute à cause de Floire et Blanchefleur, aura été identifié avec le nom exotique de Vladimir. Dans certaines versions du roman (peut-être déjà sous l’influence de cette identification), Floire est dit roi des Bougres (et des Hongres).

(2) Nous nous permettons de renvoyer, pour l’histoire et le roman de Samuel et de son gendre Vladimir, à notre mémoire sur les sources de la Tempête de Shakespeare dans le Bulletin de l’institut archéologique bulgare, IX (1935), pp. 81-97, et au mémoire de M. Adontz, cité plus haut, p. 286.

 

 

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(19) La terre d’Ebire!

 

Mais il n’était pas besoin sans doute de tant d’ingéniosité pour découvrir que l’auteur du Roland enrichi de l’épisode de Baligant avait sans cesse devant les yeux les conquêtes épirotes de Robert Guiscard. Il aurait suffi, pour le démontrer, de lire sans parti pris les derniers vers de la chanson, en se souvenant de la belle page d’Anne Comnène, où la Porphyrogénète, qui décidément admire le courage indomptable de l’ennemi de son père, raconte l’arrivée à Salerne, en 1085, de Bohémond vaincu, qui a perdu toutes les places prises par lui-même et son père, à l’exception de Dyrrachium-Durazzo, et peut-être d’un camp fortifié près d’Avlona. Il faut, avant de transcrire la célèbre finale de la Chanson, traduire le récit de l’impériale panégyriste (Alexiade, VI, 5) :

 

«Bohémond était demeuré dans l’inaction près d’Avlona. Ayant appris ce qui était arrivé à Bryenne et aux autres comtes dont les uns s’étaient résignés à passer au service de l’empereur et dont les autres s’étaient dispersés en divers lieux, il regagna sa patrie, passa en Lombardie et alla trouver son père Robert à Salerne, comme nous l’avons déjà dit. Il dénonça longuement les manœuvres de l’empereur, s’efforçant d’exciter Robert contre lui. Et Robert, voyant la terrible nouvelle (de ses échecs) écrite sur sa face, voyant aussi les grandes espérances qu’il avait mises en son fils complètement anéanties, demeura longtemps stupide et comme frappé de la foudre. Il s’informa de tout en détail et apprit comment les choses avaient tourné contre son attente. Mais, si consterné qu’il fût, il n’eut aucune pensée lâche ou indigne de sa valeur et de son audace. Au contraire, la défaite ne fit que l’enflammer davantage en vue de la guerre, et le voilà tout à des desseins plus grands encore que ceux d’antan. Cet homme, en effet, était fortement attaché à ses projets et à ses conceptions ;

 

 

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jamais il ne renonçait à ce qu’il avait une fois décidé ; bref, rien absolument ne pouvait l’abattre ; il se croyait capable de tout conquérir à la première attaque. Aussi, bientôt, il se ressaisit et, sortant de son découragement, il envoya partout annoncer une nouvelle expédition en Illyrie contre l’empereur, convoquant tous ses hommes en vue de cette campagne. Et sur le champ, de partout, les guerriers accoururent en masse, cavaliers et fantassins, tous brillamment équipés et brûlant de combattre. Homère eut comparé cette foule de soldats aux essaims serrés des abeilles... »

 

Reprenons maintenant la Chanson, laisse CCLXXXIX :

 

v. 3988 Quant l’emperere ad faite sa justise

E esclargiez est sa sue grant ire,

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

v. 3991 Passet li jurz, la nuit est aserie.

Cucez s’est li reis en sa cambre voltice

Seint Gabriel de part Deu li vint dire :

«Carles, sumun les oz de tun emperie!

v. 3995 Par force iras en la tere D’EBIRE,

Reis Vivien si succuras en Imphe,

A la citet que païen unt asise :

Li chrestien te recleiment e crient».

Li emperere n’i volsist aler mie :

v. 4000 «Deus», dist li reis, «si penuse est ma vie!»

Pluret des oilz, sa barbe blanche tiret.

Ci fait la geste que Turoldus declinet.

 

On le voit, l’Épire est nommée. Nous renvoyons à la copieuse note de Jenkins, pp. 277-278, pour toutes les identifications proposées, et nous rendrons justice à Tavernier (1) qui avait lu, comme nous, «terre d’Ébire», et songé aux expéditions de Bohémond des années 1106-1108. Mais Tavernier n’avait envisagé que le second siège de Dyrrachium, après la première croisade, et son hypothèse avait été écartée pour des raisons un peu simplistes, que Jenkins résume ainsi : «But it should not be forgotten that the poet is writing a poem of the time of Charlemagne ;

 

 

(1) Z. f .fr. Spr. u. Lit. XXXVII, p. 272, et XLI, p. 54.

 

 

300

 

Charles never fought pagans in Epirus, for Epirus was at that time a part of the Eastern Roman Empire, and this bond was not broken until the XIth Century ».

 

Ces raisons ne valent rien : Robert se considérait comme un croisé et comme une sorte de réincarnation de Charlemagne. Fidèle avoué du Saint Siège, il tenait de Grégoire VII, pour attaquer l’Empire byzantin et ses mercenaires barbares, des lettres de croisade et la bannière de Saint Pierre (1) : ainsi s’explique que l’étendard de Charlemagne, l’oriflamme appelée Montjoye dans la première partie, est dite « de Seint Pierre» :

 

v. 3094 «Seint Piere fut, si aveit nom Romaine ;

Mais de Munjoye iloec out pris eschange».

 

Il avait conquis Chanaan et Jéricho, et quand il mourut de la fièvre le 17 juillet 1085, sans doute à la pointe de Céphalonie, en un lieu qui garde son nom : Phiskardos Anne Comnène (Alexiade, VI, 6), raconte que ce fut après avoir entendu un paysan dire que, non loin de là, se trouvait un site antique appelé Jérusalem. Et l’invincible héros se souvint d’un oracle qui lui avait promis qu’il rendrait le dernier soupir dans la ville sainte. Ordéric Vital attribue au Viking expirant un discours où il compare son fils Bohémond au Français Roland (Ordéric Vital, IV, 186). Est-il étonnant que les hérauts et les trouvères qu’il avait chargé des convoquer le ban et l’arrière- ban de ses guerriers pour son dernier passage en «Ébire» aient songé à identifier le septuagénaire avec l’empereur à la barbe fleurie?

 

En d’autres termes, notre Chanson de Roland, avec son épisode final, a servi d’excitatorium pour cette pré-croisade. C’est à Salerne, probablement, qu’elle a été composée, au printemps de 1085. Ainsi s’explique, à la fois qu’elle ne contienne aucune allusion aux grands faits d’armes de 1096 à 1099, et que pourtant, d’un bout à l’autre,

 

 

(1) Voir à ce sujet le livre très complet de Carl Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Forschungen zur Kirchen- und Geistesgeschichte, VI, Stuttgart, 1935, aux pages 159 et 175, et ses renvois aux sources.

 

 

301

 

elle soit traversée du grand souffle épique qui anima les Gesta Dei per Francos.

 

Quant à Imphe ou Nimphe, c’est sans doute ce fameux Nymphaion dont on cherche à présent l’emplacement quelque part entre Avlona et la Vojusa, et que nous localiserions au village de Mifoli (1). Ce doit être à Nymphaion que Bohémond avait organisé son dernier camp retranché dans l’Albanie méridionale (2).

 

Bruxelles, 17 juillet 1939,

 

854e anniversaire de la mort de Robert Guiscard en «Califerne».

 

Henri Grégoire et Raoul De Keyser

 

 

(1) Le second élément est un suffixe turc banal : cf. Sivasli de Sivas, Sebastea. Le changement de N en Μ est fréquent en albanais comme en slave. Le Nymphaion de Smyrne s’appelle encore aujourd’hui Nif. Sur le Nymphaion d’Épire, voyez l’article tout récent de Pauly-Wissowa, s. v. Nymphaeum III, col. 1525 à 1527 (E. Polaschek).

 

(2) On s’étonnera peut être que nous n’ayons rien dit des Turcs, des Persans, des Arméniens. Tout le monde sait que l’armée d’Alexis comprenait aussi ces éléments ; mais nous n’en faisons pas état parce que l’on pourrait nous objecter que leur mention dans Baligant ressortit à un «orientalisme de fantaisie». Et d’autre part, ce ne sont pas les lecteurs de Byzantion qui ont besoin de précision sur les contingents turcs envoyés à Alexis, luttant contre Robert Guiscard, par le sultan de Nicée, ni sur l’emploi du nom de Perses pour désigner les Seldjoucides, ni sur le nombre et l’importance des Arméniens (Ermines, Ormaleus) dans l’armée byzantine.

 

 

302

 

 

NOTES COMPLÉMENTAIRES

 

 

Note sur les Francs et les Νέμιτζοι (page 283)

 

Le transfert aux Νέμντζον ou Germains de la garde byzantine de la particularité physique grotesque que la malignité grecque attribuait aux Francs s’explique d’autant plus facilement qu’en 1085 et plus tard, Γερμανοί et Φράγγοι étaient des expressions absolument synonymes et interchangeables. Strategikon de Kekaumenos, chapitre σμδ’ : τοῦ βασιλέως Φραγγίας et τοῦ ῥηγὸς Γερμανῶν, désignant le même souverain, cf. Vasilievskij, Žurnal, loc. cit., pp. 321 sqq. Mieux encore, Théophylacte de Bulgarie, en parlant des disciples de Méthode, dit qu’il furent chassés par un prince ami des Francs et livrés par lui à ses soldats, les barbares Νέμιτζοι (Migne, PG, 128, col. 1217 B-C).

 

Canabeus = Comnène (p. 295).

 

Le m de Comnène, devant consonne, a dû développer un b qui subsiste dans une forme métathétique. Pour le changement de os accentué en eus, v. Traulos, Torleus. Quant au Sayyid Baṭṭâl, son original arabe est du début du XIIe siècle. Dans les derniers épisodes apparaissent des généraux et empereurs byzantins de la fin du XIe, notamment Asator qui est le général de Romain Diogène Hatchatour (nom arménien) et Kanathous qui se comporte vis-à-vis des Musulmans exactement comme Alexis Comnène (1). Quelque soit l’explication phonétique ou graphique de la forme Kanathous, il faut absolument la rapprocher de Canabeus. Dans l’un et l’autre cas, nous pensons qu’il s’agit d’une déformation du grec Κομνηνός. Cf. nos articles: L’épopée byzantine et ses rapports avec l’épopée turque (cité p. 269, n. 1) et Héros épiques méconnus (cité p. 265, note 1).

 

 

(1) D’abord allié et vassal des Musulmans, il se soulève contre eux avec l’aide des Francs Udj (Hugues de Vermandois) et Serdjaïl (Raymond de Saint Gilles). Aussi avions-nous admis que le Kanathous du Sayyid Baṭṭâl avait en grande partie comme prototype historique Alexis Comnène. Nous voyons à présent qu’il en porte même le nom. Cf. Byzantion, t. IX (1934), p. 410.

 

 

303

 

Note sur les «Valaques» et sur leurs révoltes (pp. 290).

 

En fait, la plus ancienne mention des Valaques de Grèce remonterait, d’après l’auteur du Strategikon, Kekauménos, à l’année 980. Car, d’après le chapitre σμδ’ du Strategikon, cette année-là (quatrième année du règne de Basile II), l’empereur aurait donné au grand’père de l’auteur, nommé Nikoulitzas, διὰ χρυσοβούλλου ἀντὶ τῶν ἐξκουβίτων τὴν ἀρχὴν τῶν Βλάχων Ἑλλάδος.

 

Plusieurs pages du Strategikon sont consacrées à l’insurrection des Valaques, unis aux Bulgares et aux gens de Larissa (chapitre ρογ’-ρπξ), sous Constantin Ducas ; elle est mise en relation avec la comète de 1066 et des projets d’invasion prêtés à Robert Guiscard (chapitre ρογ’ : Μᾶλλον δὲ ἐγένετο καὶ ἀστὴρ κομήτης τότε, ὃν ἔλεγον οἱ περὶ ταῦτα δεινοὶ δοκὸν εἶναι, κακοποιὸν δὲ αὐτὸν ἔφασκον ... Ἦν δὲ καὶ φημιζόμενον τότε, ὅτι ὁ Ῥόμβερτος ὁ Φράγγος εὐτρεπίζεται ἐλθεῖν καθ’ ἡμῶν).

 

L’auteur du Strategikon s’emporte, au chapitre ρπξ’, contre la déloyauté des Valaques ; il recommande de s’en méfier en cas de soulèvement bulgare, même s’ils jurent qu’ils resteront fidèles à l’empereur. Vasilievskij, pp. 152 sqq. de son article du Žurnal (juillet 1881, p. 1519), se sert du Strategikon contre la thèse roumaine (1), sous prétexte que l’auteur n’affirme pas que les Valaques, «ces Daces et Besses, qui habitaient jadis près du Danube et de la Save» ont, en émigrant en Macédoine, en Épire et surtout en Hellade (Thessalie), laissé dans le Nord une partie de leur congénères ! La réponse est simple. C’est un pur hasard qui nous révèle l’existence des Valaques balkaniques avant l’année 1145. Si nous n’avions pas une ligne de Cédrénus et le Strategikon, nous n’en saurions rien ; donc, pour les Valaques du Nord, le silence des sources n’est pas opposable à l’évidence historique.

 

Une évidence méconnue (sauf par Tavernier) : terre de Bïre, terre d’Epire (pp. 298-99).

 

Les érudits futurs se demanderont comment le nom de l’Épire, inscrit en toutes lettres dans la Chanson, n’avait pas suffi,

 

 

(1) Que des Roumains défendent fort mal. Μ. Th. Capidan, par exemple, en affirmant que «le plus ancien témoignage est celui d’Anne Comnène», fait preuve d’une ignorance coupable (Th. Capidan, L’Origine des Macédo-Roumains, Bucarest, 1939, page 18). La forme Blos, décidément, est plutôt attribuable à l’assonance qu’à une influence slave, les formes macédoniennes étant en a.

 

 

304

 

avec les noms de Butentrot, des «Chanineis» et de Jéricho, à faire éclater tout de suite l’évidence. L’ignorance de l’histoire byzantino-orientale, le peu de commerce avec les sources grecques, qui furent toujours les péchés des romanistes, sont cause de cette cécité vraiment prodigieuse (1). Il est amusant, aujourd’hui que le problème est résolu, de lire dans Jenkins (note excellente au vers 3995-3996 de son édition) ou dans Boissonnade, Du nouveau sur la Chanson de Roland, p. 218, la mention de la vérité, mais une mention dédaigneuse. Citons Boissonnade :

 

«Tout porte à croire qu’il ne peut être question de l’Épire, province d’un État chrétien, dans la strophe finale de la Chanson de Roland, mais bien d’un pays de l’Orient musulman, et d’une certaine importance (2)».

 

Et pourtant, W. Tavernier, dans une courte note de la Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, XXXVII, p. 272, avait vu juste, et nous n’aurions qu’à répéter ses paroles «définitives» : «Am nächsten liegt Epirus und nichts anders meint der Rolandsdichter», si Tavernier, à cause de son information lacuneuse des choses byzantines, n’avait été comme hypnotisé par la seconde guerre normanno-byzantine d’Épire : «Er spricht hier (wie noch öfter) durch die Blume ; gedacht ist an Bohemunds Kriegszug nach Epirus, 1107-1108, gegen den griechischen Kaiser». Visiblement, Tavernier ignorait ou minimisait les grandes expéditions de Robert Guiscard. Il faut dire qu’il était égaré par son désir de réfuter Gaston Paris, et de mettre à tout prix la Chanson après la Croisade. Nous tenons à faire observer ici que nous n’avons découvert la note de Tavernier qu’au terme de nos propres recherches. Nous tenons aussi à déclarer que nous ne sommes point partis du texte sur Bire et Imphe ou Nimphe, mais qu’au contraire, nous y avons vu une confirmation a posteriori de notre théorie. La vraie clé du Baligant reste Butentrot. Et quant à la date, quelle folie de supposer que, huit ans après la prise de Jérusalem, une chanson de geste se soit gardée pure de toute allusion à des faits anatoliens, syriens ou palestiniens !

 

 

(1) Baist, dans ses Variationen über Rolands v. 2074-2176 (Beiträge zur rom. und englischen Philologie, Festgabe für W. Förster, Halle, 1903, p. 213 sqq.), identifiait Bire avec Vera d’Andalousie.

(2) Il avait écrit pourtant (même page), ne croyant pas si bien dire : «Une quatrième hypothèse confond Bire avec l’Epire (Ebire) ; elle se fonde sur les prétentions que formaient depuis 1080 les Normands de Guiscard et de Bohémond sur cette province de l’Empire byzantin». Là-dessus, il cherchait Bire en «Euphratèse» !

 

 

305

 

Imphe ou Nimphe (p. 301).

 

Pour Nimphe, Hofmann, dans le tome Ier des Romanische Forschungen, avait entrevu une parcelle de la vérité ; mais tout en admettant que Nimphe représentait Νυμφαῖον, Νύμφαιον, il avait cru au Nif smymiote. Tavernier, cette fois, s’est trompé complètement, leurré par ses deux «présupposés» : la geste de Bohémond et l’après-croisade. Pour lui: «Edessa in Gefahr (1105), Tankred und seine Normannen in schwerer Not, das hat auch den Rolandsdichter aufs Tiefste gepackt. So lautet denn die zweite himmlische Direktive : nach Edessa, Tankred zu Hilfe». Cf. Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, tome XLI (1913), p. 55. On avait aussi songé à Memphis !

 

Le roi Vivien secouru dans Imphe (p. 299).

 

Le roi Vivien est naturellement le héros épique de ce nom, qui figure dans le Cycle de Guillaume d’Orange, et dont le prototype historique est le comte Vivien de Tours (IXe siècle). Aucune chanson de geste, aucune légende ne parle d’aucun siège d’Imphe, ni à propos de Vivien, ni à propos d’aucun autre preux. C’est ce qui nous a fait reconnaître l’allusion. — La littérature grecque nous fournira une frappante analogie. A la fin de l’Electre d’Euripide, les Dioscures disent (vers 1346 sqq.) : «Pour nous, nous allons en grande hâte sur la mer de Sicile où s’avancent les proues de nefs que nous devons sauver». Comme la mythologie ni la poésie grecques ne connaissent point d’épisode où les Dioscures auraient secouru des navires dans la mer de Sicile, les critiques estiment unanimement que «l’allusion doit viser la grande flotte de secours athénienne envoyée à Nicias, en Sicile, en l’année 413, avant Jésus-Christ». Cf. Euripide, éd. Budé, t. IV, p. 189.

 

Sur l’identité de Turoldus (p. 299).

 

Si la date de notre Chanson est 1085, ce que nous considérons comme prouvé, le problème de Turoldus se présente d’une manière toute nouvelle.

 

On connaît le mot célèbre de Gaston Paris au sujet de l’auteur de la Chanson de Roland :

 

 

306

 

«L’auteur de la Chanson de Roland s’appelle Légion» (Légendes du moyen âge, Paris, 1903, p. 47, cité par Jenkins, op. cit., p. xlvi). J. Bédier, dans les Commentaires qui accompagnent la Chanson de Roland, traite, en quelques pages, d’abord le problème, de la personnalité de Turold, qui est cité au vers 4002, et ensuite la question de la patrie de l’auteur de la Chanson, car, comme on le sait, le dernier vers de la recension d’Oxford ne nous permet pas de dire si Turoldus est l’auteur, le copiste ou le trouvère qui récitait la Chanson. Bédier compte quatre Turold normands qui pourraient prétendre à la paternité de l’œuvre. Mais, comme nous le faisions déjà remarquer au début de cette étude, tous les éléments extérieurs au poème lui manquaient ; de sorte qu’on ne s’étonne pas de lire, p. 33 :

 

«Il n’y a donc qu’à rejeter leurs prétentions à tous quatre et qu’à souhaiter qu’un cinquième Turold, s’il s’en présente demain un cinquième, se soit muni au préalable de quelque document de cet ordre (Bédier demande ici «un bout de texte, où il soit dit qu’au temps de son passage sur terre, il a composé des chansons de geste, ou tout au moins qu’il a quelque jour, fût-ce une seule fois et par occasion, en vers ou en prose, en français ou en latin, ou en quelque autre langue, fait œuvre d’écrivain») : ce devra être la condition de tout examen de ses allégations».

 

Pour nous, le problème change de face: il suffira que l’un des Turold cités par Bédier et qui « réclament la paternité de notre Iliade nationale », soit mort avant la Croisade et qu’il ait eu des relations avec les conquérants normands de la Sicile et de l’Italie méridionale.

 

Parmi tous les prétendants, nous en retiendrons deux, suivant en cela Jenkins (voir la discussion du problème aux pages xliv et lxv de son édition revue de 1929).

 

   1. Turold, abbé de Peterborough, appelé dans les textes «Turoldus de Burgo»,et qui était fils ou neveu de l’évêque Odon de Bayeux. Il suivit Guillaume en Angleterre, où, après 1066, il fut abbé de plusieurs monastères. Il meurt en 1098.

 

   2. Turold d’Envermeu, que Guillaume Rufus, aussitôt qu’il apprit la mort de l’évêque Odon de Bayeux, à Païenne, en 1097, nomma évêque de Bayeux. Mais ce Turold, après sept ans, abandonna ses fonctions épiscopales, pour quelque raison secrète, et alla se faire moine au monastère du Bec, sous l’abbatiat de Guillaume (1039-1124). On en est réduit à des conjectures sur l’âge de Turold d’Envermeu.

 

 

307

 

Il est évêque de Bayeux en 1097, donc, probablement âgé de trente ans au moins : il serait né au plus tard en 1067. Avant 1090, il fut au service de Robert II «Courte-Heuse», duc de Normandie. On ne sait la date de sa mort, qui doit se placer après 1107. Tavernier, dont nous avons déjà maintes fois parlé, croyait que Turold d’Envermeu était l’auteur de la Chanson de Roland. Il lui consacra quatre longs articles dans la Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, XXXVIII, 1911, XXXIX, (1912), XLI (1913) et XLII (1914), et aussi un mémoire important dans la Zeitschrift für romanische Philologie, t. XXXVIII, 1914-1917, pp. 99, 412, 703, où il reprend la question en détail.

 

Pour nous, «l’auteur» de la Chanson a des chances d’être Turold I, abbé de Peterborough. En effet, et cela n’a pas pu échapper à nos lecteurs, son père ou son oncle, Odon de Bayeux, est mort à Palerme, en 1097. Voilà le lien que nous cherchions entre la Normandie et la Sicile. Autres arguments, d’ordre littéraire : Turold de Peterborough était en contact fréquent avec l’abbaye de Malmesbury, dont un bibliothécaire, Guillaume de Malmesbury, connaissait une cantilena Rollandi : «Tune cantilena Rollandi inchoata ut martium viri exemphim pugnatores accenderet, inclamatoque Dei auxilio, praelium consertum...» (cité par Jenkins, op. cit., p. ix). Mais ce n’est pas tout : le catalogue de l’abbaye de Peterborough, qui n’est sûrement pas postérieur à 1362, mentionne parmi les livres profanes : «De Bello valle Runciae, cum aliis ; Gallice» et «Bellum contra Runciae vallem ; Gallice».

 

On nous permettra de ne pas nous occuper aujourd’hui du Turold de la Tapisserie de Bayeux.

 

L’objection de Jenkins (p. 299).

 

Puisque c’est en anglais qu’a été formulée cette objection, nous y répondrons en citant Anne Comnène dans la traduction E. Dawes (1) :

 

«Now there were a goodly number of Scythians in the Roman army and some of these (as is the Barbarian’s custom) had run ahead during the battle to forage, and in this way it happened that six of them were taken captive. They were sent to Bohemund

 

 

(1) E. Dawes, trad. d’Anne Comnène, p. 318 (Alexiade, XII, 8),

 

 

308

 

and, when he saw them, he considered them a very great asset, and went straight away with them to Rome. There he approached the apostolic seat, and conversed with the Pope and raised his fierce ire against the Romans and fanned the ancient grudge of those barbarians against our race. And in order to excite the Pope’s and his Italians’ rage still further, Bohemund brought in the captured Scythians as a convincing proof that the Emperor Alexius was hostile to the Christians, as he used unbelieving barbarians and monstrous mounted archers to wield weapons and draw their bows against Christians. And in every conversation of this kind he drew the Pope’s attention to those Scythians who were in Scythian dress and, as usual, looked extremely barbaric ; and all the time he kept calling them «pagans», as the Latins’ habit is, and mocking at their name and appearance. Very cunningly, as you see, he handled this affair of the war against the Christians, in order that he might convince the high-priestly mind that he had good reason to be aroused to enmity with the Romans ; at the same time wooing the support of a voluntary army of the more rustic and stupid men. For who among the Barbarians close by, or further off, would not corne of his own accord to a war against us when the high-priest gave his consent and an apparently just cause aroused every house, man and soldierly arm? The Pope was constrained by Bohemund’s arguments, and agreed with him, and sanctioned his Crossing into Illyria.»

 

Il est impossible de citer un texte plus éloquent, plus décisif. Bohémond, en 1107, réussit à intéresser le pape à son expédition contre Alexis Comnène, en terre d’Épire, en montrant au pontife de sauvages Petchénègues, auxiliaires de l’armée impériale, que Tancrède avait faits prisonniers lors du coup de main de Kontostephanos sur Brindisi. Telle fut, dès le début, la tactique normande. On savait depuis longtemps que Bohémond ne perdait aucune occasion d’accentuer, d’exaspérer le schisme. Cette politique devait logiquement aboutir au détournement de la IVe Croisade. — Nous avons été heureux de trouver, dans la personne de Μ. Carl Erdmann (1), un historien de bon sens qui a du coup replacé la Chanson de Roland dans son cadre chronologique.

 

 

(1) Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, (= Forschungen zur Kirchen- und Geistesgeschichte, 6 er Band), Stuttgart, 1935.

 

 

309

 

Il faudrait citer in extenso ses pages 264 et 265, et beaucoup d’autres encore. Mais on va voir par quelques citations que nous sommes en complète sympathie :

 

«Bédier, Boissonnade, Tavernier und Faral setzen das Lied nach, Lot und Fawtier vor dem ersten Kreuzzug an. Ich neige zur letzteren Meinung». Dans la Chanson, l’archevêque Turpin promet aux guerriers la récompense des saints martyrs, et leur demande de frapper en guise de pénitence. Observation très juste de Μ. Erdmann :

 

«Hier finden wir also den Gedanken des Kreuzablasses, wenn auch in volkstümlich vergröberter Form, und wir können deshalb mit Bestimmtheit sagen, dass das Lied nicht älter sein kann als die Zeit Alexanders II. Die Ausführungen Taverniers, Vorgeschichte, p. 84-88, 98-100, dass dieser und andere ähnliche Gedanken des Liedes vor dem ersten Kreuzzug unmöglich gewesen seien, beruhen auf mangelnder Kenntnis der Tatsachen, und werden durch das ganze vorliegende Buch widerlegt».

 

— On nous demandera sans doute ce que nous pensons du livre de Boissonnade, Du nouveau sur la Chanson de Roland. Notre réponse sera simple. Chaque fois qu’il touche à l’histoire et à la géographie orientales, Boissonnade commet les erreurs les plus ridicules et donne dans la fantaisie la plus absurde. Même en ce qui concerne l’Espagne, il faut le consulter avec une prudence extrême. Cf. C. Erdmann, p. 267.

 

Califerne (p. 289).

 

Bien que notre solution de la vieille énigme de Califerne soit, de l’avis général, absolument évidente, je compte publier bientôt un petit mémoire spécial sur cet intéressant sujet. Aujourd’hui je me borne à renvoyer à un excellent article de M. Carnoy dans la revue Le Muséon (1). On y verra comment le pays de Califerne fut, au xve siècle, regardé comme une terre mythique et paradisiaque, ce qui explique qu’on l’ait finalement identifié avec la charmante Californie. Μ. Carnoy cite et commente naturellement les vers de la Chanson de Roland où ce nom apparaît pour la première fois. Il constate qu’aucune étymologie raisonnable n’en a jamais été proposée, et suggère le persan Kār-ï-farn, nom composé,

 

 

(1) Μ. A. Carnoy, Paradis d’Orient - Paradis d’Occident, dans Le Muséon, 35 (1922), p. 227.

 

 

310

 

imaginé par lui-même (1) et qui signifierait Montagne du Paradis. Mais, d’une part, aucun texte oriental ne parle de Kār-ï-farn, et d’autre part, la connaissance des cultes et lieux de culte iraniens, vers 1100, en Occident, devrait être maigre. Tertio, les autres noms figurant dans les deux vers de la Chanson de Roland sont tous parfaitement clairs. Reproduisons ces vers :

 

Romain, Puillain et tuit cil de Palerne

E cil d’Affrike e cil de Califerne.

 

Cf. les vers 370 et 371 :

 

Dist Blancandrins : «Merveilus hom est Charles

Ki cunquist Puille e trestute Salabre,

 

à propos desquels, Μ. Fawtier dit si justement (p. 99) : «On attribue donc à Charles une partie des conquêtes de Robert Guiscard»...

 

Robert Guiscard avait pris Rome et l’un de ses hauts faits est la répression d’une insurrection de Pouille, comme nous l’avons dit dans le texte.

 

Quant à l’Afrique, il n’y débarqua point. Mais en 1085, une croisade africaine était en projet. On sait, ou plutôt on ne sait pas assez qu’elle eut lieu en 1087 et qu’elle produisit une étonnante cantilène en latin vulgaire, vraie chanson de croisade en 74 strophes qu’il y aurait lieu de comparer à bien des passages de la Chanson de Roland (2). Il s’agit de l’expédition des Pisans et des Génois qui aboutit à la prise de Mahedia ou Mehdia sur la côte tunisienne entre Sfax et Sousse. Dans le contexte de la Chanson de Roland, où il n’y a aucune fantaisie géographique, Califerne doit désigner également une conquête de Robert Guiscard ou en général d’une puissance italienne. Or, après ou avant même celui d’Épire, le nom géographique le plus étroitement associé à la mémoire de Robert est celui de Céphalénie (3). Nous n’examinerons pas ici la question litigieuse de savoir si, comme le prétend Anne Comnène, Robert rendit vraiment le dernier soupir en «terre de Califerne». Mais ce qui est certain, c’est qu’il eut à conquérir ou à reconquérir la grande île ionienne dont le nom était celui d’un thème byzantin, correspondant à l’Heptanèse d’aujourd’hui.

 

 

(1) Mais dont les deux éléments existent, hâtons-nous de le dire.

(2) Bibliographie dans Erdmann, op. cit., pp. 272-274.

(3) La question du lieu pù Pobert Guiscard mourut est très controversée.

 

 

311

 

Une métathèse très simple, facilitée encore par la hantise des califes, devait transformer KÉFALINIE en KALIFÉNIE ; et quant à la finale de Califerne, qui ne voit qu’elle est amenée impérieusement par la rime «Palerne» ? Palerne à son tour, au lieu de Palerme, est naturellement influencé par le nom de la capitale de Guiscard, Salerne. L’argument de Califerne est peut-être le plus fort que l’on puisse invoquer en faveur de notre thèse ; car Céphalénie, qui joue un si grand rôle militaire de 1081 à 1085, n’est pas nommée à propos des exploits de Bohémond (1107-08).

 

 

Variantes des noms cités.

 

Nous donnons, dans cette note, dans l’ordre alphabétique des leçons adoptées, les noms historiques et géographiques que nous avons étudiés. On trouvera d’abord la leçon adoptée, suivie du sigle du manuscrit auquel elle est empruntée ; ensuite l’indication du vers de l’édition Stengel, en note duquel on trouvera les leçons que nous donnons ; cette numérotation correspond à celle de Bédier. Ensuite viennent les différentes variantes ; enfin nous donnons, s’il y a lieu, les interprétations les moins fantaisistes des philologues qui ont étudié la Chanson de Roland. Quant au chiffre qui suit immédiatement le lemme, c’est celui de la page du présent article où nous donnons notre interprétation personnelle.

 

Avers : (287 sqq) O ; v. 3242 ; dB : Promten ; T : Claiuent ; alii alia.

 

Baile : (278 sqq) C ; v. 3230 ; O : Balide la fort ; V4 : Baligera la fors ; V7 : Albeigna ; dR Paligêâ ; dS : Balîe ; dK : Balie.

Les commentateurs s’occupent de la forme donnée par O, et identifient Balide avec Pöhlde, près de Göttingen ( !) ou une Palida civitas en Arménie ( ! !) ou enfin, Balis, gén. Balidis, à l’est d’Alep, vers l’Euphrate (!!!).

 

Bire : v. Ebire

 

Blos : (290 sqq, 302) Ο V4 CV7 ; v. 3224 ; dR : Rosses ; dK : Bolois.

On a pensé aux Polovtzes ; Jenkins, dans une note à ce vers, émet timidement l’opinion que nous défendons.

 

Bruns : voir Ros.

 

Butrentot : (269 sqq) O ; v. 3220 ; V4 Butrintos ; CV7 : Boteroz ; P : Butancor ; T : Bonne terre ; dR : Val-Potenrot ; dK ;

 

 

312

 

Botzeroit. Pour la discussion des hypothèses, voyez le corps de l’article.

 

Chanineis : (275 sqq) V4 ; v. 3269 ; O : Canelius ; T : Chaveleus ; CV7 : Trente charnels ; P : XX, chevaliers. Au vers 3238, O a également Canelius, mais ce vers, avec d’autres, manque dans V4 (depuis 3231 jusque 3246). Mais le texte prouve qu’ici, il s’agit bien des Chanineis cités plus bas. On peut donc restituer Chanineis.

 

Cheriant : (297) O ; v. 3208 ; P : Serventée ; V4 : Oriente. Boissonnade fait de ce fleuve le Jourdain, en arabe El Cheria ( !) Settegast y voit une ville, Kairouan, ville sacrée de Tunisie pour les Musulmans ( !).

 

Ebire : (298, 303) lecture de O : «debire» ; v. 3996 ; leçon unique. Quelques éditeurs, dont Bédier, Usent «de Bire». Hofmann voit en cette, une mention de l’étang de Berre, cité par Eginhard (Vita Karoli, II) : «iuxta Narbonam apud Birram fliwium». Il avait auparavant émis deux autres hypothèses fantaisistes. Baist reconnaît, sous la forme Bire, la ville de Vera, en Espagne, près d’Alméria. Léon Gautier proposa, sans y insister, de corriger en Libye. L’opinion première de Tavernier (on a pu voir, dans le corps de l’article, qu’il a, comme nous, reconnu ensuite l’Épire), celle de Génin déjà, celle de Baist, et enfin de Boissonnade, est que nous avons ici une mention de Biredjik, sur l’Euphrate, fief avancé d’Édesse, terre prise et reprise sur les païens. Jenkins, lui, revient à l’Espagne, adoptant une ancienne opinion de Baist : El-Bira, fut, jusqu’au XIe siècle, la voisine immédiate et la rivale de Grenade (cf. Dozy, Recherches sur l’Histoire d’Espagne, I3, pp. 327 sqq.).

 

Englez : (292) notre restitution paléographique d’après O : Eugiez ; CV7 : Rohais ; dR : thie Glessen. La discussion fut ardue au sujet de ce mot. Différentes lectures furent proposées, servant chacune à une interprétation différente : Jenkins lit Uglez, et identifie avec la tribu slave des Ugleci ; Boissonnade lit Eugez et les identifie avec les Arabes du Djebel Ared ( !) ; enfin, un érudit turc, Köprülü, identifie les Eugiez avec les Ogouz.

 

Esclavoz : (287) OCV7 ; v. 3225 ; PT : Esclamors ; dR: Teclavosse. Depuis Gaston Paris, tout le monde reconnaît les Esclavous ;

 

 

313

 

ce maître ajoutait une autre mention des Esclavons sous la forme Clavers, O, du vers 3245.

 

Gloz : (278 sqq) CV7 ; au vers 3230, déjà examiné pour B aile, les deux manuscrits cités ajoutent Gloz ; tandis qu’au vers 3255, où O porte Baldise la longe, identifié aussi avec le cap Pâli (voir le corps de l’article), dK a la leçon Galose, tandis que CVont «d’Albanie et de Kent», Albanie étant l’ancienne Albanum, actuellement El Bassan, et Kent étant une forme écourtée de Kanina.

 

Gros : (291 sqq) O ; v. 3229 ; V4 : Mours ; CV7 : Enoz (Noz) ; dR : Mores. Boissonnade suggère les Kurdes, tandis que Jenkins serait tenté d’y voir les Géorgiens, dont le pays est connu sous le nom de Grouzia par les Russes (!!!).

 

Imphe : (301, 304) lecture de O : « en imphe ; v. 3997. Leçon unique ; certains, comme Bédier, lisent «en Imphe». D’autres,dont nous, lisent «ē nimphe» : «en Nimphe». Ce toponyme a défié l’ingéniosité des philologues. Hofmann, le premier, identifie Imphe, avec les Ἰμφεῖς, peuple de Thessalie (cfr. Pauly-Wissowa,s.v.). Il cite aussi le fleuve Nymphaeus qui se jette dans le Tigre en aval d’Amida, descendant de l’Anti-Taurus. Mais, ayant identifié Bire (cf. s. v. Ebire), il en est réduit à dire : «Nimphe : eine gelehrte Verballhornung des Oxforder Abschreibers für Nismes » ( ! ! !). Boissonnade estime, avec Tavernier, que sous la forme Imphe se cache Ourfa, qui serait devenu Irfe en normand, forme reconstituée pour la circonstance ( !), et devenue sous la plume d’un scribe «peu instruit» Imphe (!!!). Liebrecht opte pour la fameuse Nisibe de Mésopotamie. Baist croît reconnaître dans Nimphe l’antique Memphis égyptienne, nommée Nemphi dans quelques itinéraires. D’autres enfin ont voulu y voir la Nimfa, que le Géographe de Ravenne place dans la «Bosphoria patria».

 

Jericho : (275) O ; v. 3228 ; V4 : Jericos ; CV7 : Ificoz (Isicoz) ; dS : Jêrichop ; dR : Joricop.

 

Lycanor : (294 sqq) P ; v. 3226. On ne s’est jamais, à notre connaissance, occupé de cette «addition» au texte qui, certainement, figurait dans une forme très ancienne de la Chanson.

 

La quinte eschielle chevauche par effors

Forme fu d’unne gent qest molt fors

Nommee fut de la gent Lycanor.

 

Malpreise : (296) lecture de O : «malp’se» ; v. 3253 ;

 

 

314

 

(au vers 3285 : Ο : Malpreis) : V4 : Malposse ; CV7 : Val-Proissïe (Persie) ; dR : Malprose ; dK : Malprose.

On a essayé de rapprocher ces géants de ceux cités dans la Bible avec les Chananéens : Num. XIII, 32-34.

 

Malprimes : (296) V4 CV7 P T dK ; plusieurs passages ; O : Malpramis.

 

Micenes : (283 sqq.) O ; v. 3221 ; nous corrigeons en Nemices ; V4 : Nices ; CV7 : de Mont-Nigre les Torz (Gorz) ; P : Mucemeus le guerrier ; T : Mitoines le legier ; dS : Mers ; dK : Mères. L’identification de Gaston Paris, si invraisemblable qu’elle soit, a prévalu jusqu’à nos jours : ce sont, d’après lui, les Milceni, établis au XIe siècle, en Haute Lusace ( !).

 

Ocian la desert : (292 sqq) O ; v. 3246 et autres ; CV7 : d’Olchan (d’Olceans) ; T : d’Occident ; dR : Turkoppen ; dK : Ortallen. On a pu lire que Jenkins, comme nous, avait pensé au thème de l’Opsicium. (C’est tout à fait indépendamment de lui que nous avions songé à cette identification).

 

ADDENDA ET CORRIGENDA

P. 314. — Ocian la desert. — La note des variantes doit être ainsi complétée : Occian est donné par O au vers 3246. Ce ms. a Occiant aux vers 3474 et 3517. Quant au masculin le, c’est une correction inutile de Bédier et d’autres éditeurs.

 

Pinceneis : (280 sqq) O ; v 3241 ; CV7 : Orvalois ; T : Quaualleux ; dR : von then Suiten Thie von Ferren thar unter.

 

Publes : (287 sqq.) notre correction de Nubles : O ; CV7 dR ; v 3224 ; dK : Nobiles.

 

Ros : (291) V4 ; v. 3224 ; O : Bruns ; CV7 : Escoz ; PT : cil de Roussie ; dR : Plais.

 

Gent Samuel : (287 sqq.) O ; v. 3244 ; CV7 : roi de Mont-Panthès ; dK : lande van Samuel.

 

Sorbres et Sorz : (287 sqq.) O ; v. 3226 ; V4 : Sorbanes et Sors ; CV7 : Saraçins de Goz ; dR : Sorbes, Sordis ; dK : Sorbes en Zors. Gaston Paris et Jenkins identifient ce peuple avec les Sorabes ou Sorbes, vaincus par Charlemagne, et habitant entre la Saale et l’Elbe.

 

Torleus : (288, n. 3) O ; v. 3216 et 3240 ; V4 : Turlleu ; P : Tulis ; CV7 : Tulles (Turles) ; dK : Turiles. On a pu lire plus haut l’identification proposée par Jenkins.

 

Val-Fuit : (278) O ; v. 3239. Seule mention : manque dans les autres manuscrits. Aucune identification proposée.

 

Val-Marchis : (297) O ; v. 3208 ; V4 : Mari ; P : Morois. On a voulu y voir Marrakesch. Boissonnade songea à la Galilée, parce que ce territoire fut donné à Tancrède, appelé par Robert de Caen, Marchisides.

 

 

315

 

Val-Penuse : (296) O ; v. 3256 ; dK : Val-Rose ; V4 : Val-Pensé ; T : Val dorée ; C : Val Bruient ; V7 : Val-Brugent.

 

Val-Sevrée : (294) OV4 CV7; v. 3313 ; P : Val Serrée. Boissonnade trouve une vallée Savada dans le haut Jourdain.

 

Walgres : (291 sqq) dR : v. 3229 ; O : Nigres. Baist lit comme nous Walgres, mais identifie ce peuple avec celui des Wagri, localisés entre l’Elbe et la Baltique. On a refusé d’y voir des nègres, sous prétexte que le mot n’apparaît dans la langue française qu’au XVIe siècle, et qu’en ancien français on dit neir, noir.

 

 

N. B. —Nous avons léservé pour un prochain travail les noms de Baligant, de Canabeus et de Dapamort. Sur les deux premiers voyez provisoirement les pages 294, 295 et 302.

 

* * *

 

Ce mémoire sur la Chanson de Roland et Byzance est en réalité, une œuvre collective. Il a été préparé au cours de plusieurs séances du Séminaire byzantin de l’institut oriental, séances auxquelles assistait notre savant collègue Μ. E. Honigmann, dont le concours nous a été, comme d’habitude, infiniment précieux. Nous tenons à remercier ici tous nos collaborateurs belges et étrangers. Au premier rang de ces derniers, citons Μ. Thomas Tomitch de l’Université de Sofia et Μ. S. Kyriakidès de l’Université de Salonique. Celui-ci a bien voulu approuver sans aucune réserve le résultat des recherches exposées ci-dessus : approbation décisive, vu l’autorité de ce grand maître. Nous remercions aussi Mme S. Verheesen-Gaudy, qui fut pour nous une collaboratrice admirable, et la maison De Meester, qui, en dépit des circonstances, a pu assurer l’impression de Byzantion, jusqu’au 3 septembre 1939, journée tragique où recommencent les Gesta Dei per Francos, pour la liberté du monde.

 

 

315

 

ADDENDA ET CORRIGENDA à l’article «La Chanson de Roland et Byzance».

 

 

P. 267, 5e 1. avant la fin, au lieu de : 778, lire : 788.

 

P. 294. — Baligant = Paléologue.

 

Cette identification fait l’objet d’un mémoire qui paraîtra dans le fascicule d’octobre du Bulletin de la Classe des Lettres de l’Académie de Belgique. Mais je note dès à présent que l’identification est prouvée par la Chanson elle-même, qui dit :

 

v. 2615 Ço ‘st l’amirail lo vieil d’antiquitet

Toz sorvesquiet e Virgilie e Omer.

 

Pourquoi Baligant, entre tant de héros, est-il le seul qui soit «antique», qui remonte, personnellement ou par ses ancêtres à l’époque de Virgile et d’Homère, c’est-à-dire à la geste troyenne? Évidemment parce que l’étymologie du nom de cet émir était connu du poète. Or, un panégyriste des premiers Paléologues, l’auteur du Timarion (milieu du XIIe s.) explique ainsi Παλαιόλογος : καὶ γοῦν ἐξ αὐτοῦ ἢ περὶ αὐτοῦ παλαιοί λόγοι φερόμενοι ἐπίκλην αὐτῷ τὴν ἀρχαιολογίαν ἠνεγκαντο».

 

Cela n’est rien encore. Mais nous savons que les Occidentaux eux-mêmes connaissaient le sens de ce composé grec, et qu’il les intriguait. A propos de Michel Paléologue, Otto de Freysingen dit ceci : «Ibi in confiniis Anconae Imperator castra ponens, Palaeologum (quod nos veterem sermonem dicere possumus) nobilissimum...» (De Gestis Friderici, I, lib. II, cap. 23).

 

Le premier de ces deux passages qui m’a mis sur la trace de l’autre (grâce au commentaire de Hase sur le Timarion) m’a été obligeamment signalé par l’érudition de Madame P. Wittek. Grâce à cette excellente collaboratrice, les exégètes de la Chanson de Roland ne seront plus embarrassés par l’étrange expression : «vieil d’antiquitet», appliquée à Baligant, et l’identité de ce dernier avec Georges Paléologue est définitivement prouvé.

 

P. 314. — Ocian la desert. — La note des variantes doit être ainsi complétée : Occian est donné par O au vers 3246. Ce ms. a Occiant aux vers 3474 et 3517. Quant au masculin le, c’est une correction inutile de Bédier et d’autres éditeurs.

 

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