Долни Дунав — Гранична зона на византийския Запад
Към историята на северните и североизточните български земи, края на X—XII в.

Василка Тъпкова-Заимова

 

LE BAS-DANUBE — ZONE FRONTIERE DE L'OCCIDENT BYZANTIN

Contribution à l'histoire des territoires bulgares du Nord et du Nord-Est, fin Xe—XIIe ss.

 

Vasilka Tăpkova-Zaimova

 

(Résumé)

 

 

Les problèmes concernant les territoires du Bas-Danube au Moyen Age ont attiré depuis longtemps l'attention des savants bulgares, roumains et autres. Par leur situation géographique et grâce au rôle qu'ils ont joué dans l'histoire politique et économique, ces régions ont fait objet de controverses. Aujourd'hui que l'on dispose de quelques nouvelles informations provenant de sources écrites et surtout de matériaux archéologiques et de sphragistique, une possibilité nouvelle se présente de faire certaines mises au point, de reconsidérer maints problèmes de manière plus exhaustive, de porter — dans la mesure du possible — un jugement d'ensemble.

 

L'auteur se propose d'étudier les relations politiques et ethniques au Bas-Danube au cours d'une époque où l'Etat bulgare perdant son indépendance, Byzance atteignait de nouveau la frontière danubienne, restituant ainsi ce qu'elle considérait comme ses droits politiques sur la Péninsule.

 

Lorsqu'on procède à l'analyse de ces problèmes, il importe de tenir compte de l'organisation administrative et militaire générale de frontières byzantines et des conditions concrètes qui ont présidé à la formation de la zone frontière du Bas-Danube. En effet, l'appartenance à l'Empire de territoires-frontières s'exprimait de diverses manières. La fusion du territoire d'Empire est une notion assez générale, dépendant d'un certain nombre de conditions;

 

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on plus des obligations fiscales, elle se réduisait quelquefois à la simple présence nominale de représentants du pouvoir central et plus souvent encore à l'établissement de traités entre le pouvoir central et des „satellites" d'origine diverse, mais que l'on considérait comme appartenant à la communauté byzantine. Ces zones aux limites instables, aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest, formaient des territoires — couverture à ce noyau, appelé „territoire d'Etat" ou „territoire romain", entourant la capitale et constituant l'élément constant du byzantinisme.

 

Le chapitre Ier traite „Le rôle et l'organisation administrative de la Bulgarie „ἐκεῖθεν τοῦ Δανουβίου" à l'époque du Premier Royaume bulgare. C'est un chapitre préliminaire, destiné à expliquer l'importance de l'Etat bulgare dans les rapports interbalkaniques et surtout son rôle de frontière objective par rapport aux invasions du Nord. Les possessions territoriales de la Bulgarie transdanubienne comprenaient des régions considérables jusque vers le Dniester à l'Est. Au Nord elles s'étendaient sur des territoires mal définis comprenant une partie de la Bessa rabie, de la Valachie et de la Transylvanie. A l'Est ces possessions s'arrêtaient à une région également mal définie entre la Tizsa et le Danube.

 

L'auteur estime que ces territoires transdanubiens ont été organisés à la manière des régions frontalières de l'Empire byzantin, peuplées de „fédérés". En d'autres termes, la „Bulgarie transdanubienne" représentait par rapport à l'Etat bulgare ce qu'avait été par rapport à l'Empire byzantin la Bulgarie du Nord et la Dobroudja — une sorte de territoire couvre-frontière, tandis que les vrais territoires ὑπὸ τὴν Ῥωμαϊκὴν πολιτείαν ne se trouvaient qu'au Sud de la chaîne des Balkans. Après la fondation de l'Etat d'Asparuch, la Bulgarie du Nord devenait du point de vue administratif et politique le territoire-noyau de ce nouvel organisme. De ce lait, les territoires au-delà de la zone danubienne furent organisés en territoires-frontières de la Bulgarie. C'est dans cet aspect qu'est considérée l'organisation militaire et administrative de ces territoires où, en plus de la population locale d'origine slavo-bulgare, en partie romanisée, etc., vivaient quelquefois aussi des transfuges, venant de régions lointaines (par ex. la Thrace orientale) et expédiés par le pouvoir bulgare comme population frontalière. Tous ceux-ci se trouvaient sous l'autorité suprême de l'Etat bulgare, souvent gouvernés par leurs propres chefs qui n'étaient supplantés par des représentants de l'autorité officielle qu'en cas de mutineries et de tentatives de séparatisme.

 

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Après la soumission de la Bulgarie, les territoires du Bas-Danube deviennent de nouveau une zone frontière pour Byzance. Les tentatives de l'Empire de contrôler après 971 des territoires au Nord du Danube paraissent sporadiques et de peu de durée. Nous sommes en présence d'une situation qui rappelle l'état de choses avant l'existence de l'Etat bulgare. Ces questions sont traitées dans le chapitre II „L'administration byzantine au Bas-Danube à la fin du Xe et au XIe s." Sont prises en considérations des dernières études de N. Oikonomidès, P. Diaconu, I. Božilov, etc. Tout en suivant l'évolution de l'organisation militaire et administrative dans ces régions, l'auteur fait certaines mises au point dans le tableau que ces chercheurs ont présenté pour la période 971—1000, période pendant laquelle se relayent dans ces territoires le pouvoir bulgare et le pouvoir byzantin. Il admet, d'après le Taktikon de l'Escurial, l'existence d'une stratégie appelée „Mésopothamie de l'Occident", destinée à assurer la garde du Delta danubien, mais estime comme insuffisamment prouvée l'existence d'une unité administrative et militaire plus grande — un katépanat — portant le même nom et s'étendant jusqu'au cours du Dniester, par exemple. De même, pour ce qui concerne les territoires conquis au Sud du fleuve, il semble que la stratégie „de Dristra et Ioannopolis" n'a duré que le temps de la conquête et qu'elle a été remplacée par celle de „Thrace et de Ioannopolis", comme l'indique le Scorialensis, donc que la Mésie a été rattachée à la Thrace. Quant au thème de Paristrion proprement dit, il a été sans doute, organisé définitivement à l'époque de Basile II, lorsque tous les territoires bulgares conquis ont reçu leur organisation stable de provinces de l'Empire.

 

Toujours en se basant sur le Taktikon de l'Escurial, l'auteur attire l'attention, à la suite d'Oikonomidès, sur l'étendue des conquêtes de Tzimiscès dans les territoires bulgares de l'Occident. Les thèmes de Thessalonique, Edesse, Berrhoia, Strymon (divisé en deux), Drougouvitia, Jéricho sur l'Adriatique, suivi de Dyrrhachium et de Dalmatie jalonnent les régions au-delà desquelles les Comitopouloi commandaient en maîtres avant d'étendre leur mouvement sur les autres territoires bulgares.

 

L'auteur souligne, en dernier lieu, la souplesse dont faisait preuve le gouvernement byzantin par rapport aux provinces annexées et surtout dans le Paristrion, constamment exposé aux invasions du Nord. Cette souplesse dans l'organisation administrative et militaire qui s'imposait par des circonstances objectives, mais qui faisait aussi partie intégrante de l'ensemble de la ligne politique et diplomatique de l'Empire, apposait son cachet également sur l'évolution

 

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ultérieure des „Rapports entre le pouvoir byzantin et les émigrés transdanubiens au XII siècle" (chapitre III). L'auteur passe en revue les invasions de Petchenègues, Ouzes, Koumanes, etc., qui ont désolé les territoires au Sud du Danube jusqu'au dernier quart du XIe s., en attirant surtout l'attention sur les événements qui ont suivi le déferlement massif de grandes masses de Petchenègues après 1048. Obligé par des circonstances d'ordre extérieur et intérieur, le pouvoir central se voyait contraint de recourir en partie à ces émigrés comme à une population frontalière, chargée de la garde de la frontière danubienne contre de nouveaux envahisseurs.

 

C'est ainsi que s'établissaient des rapports compliqués entre les „Barbares" ayant déjà adhéré à l'Empire et ceux qui arrivent à leur suite et dont une partie reçoit aussi ce même statut de frontaliers. Dans d'autres cas cependant, par suite d'attaches compliquées avec les habitants de la rive gauche du Danube, ces derniers contribuent à l'apparition de nouvelles vagues d'invasions du Nord.

 

L'auteur passe en revue la situation générale de l'armée byzantine et le processus qui obligeait le pouvoir central de recourir en masse aux „Barbares" comme défenseurs de ses frontières. Les réformes et contre-réformes des empereurs après Basile II ne donnent aucun effet durable sur l'organisation de l'armée régulière au XIе s. Et c'est sur ce fonds de l'incapacité générale ou du nombre insuffisant des effectifs de l'armée régulière qu'apparaissent comme inévitables les conséquences qui résultent des relations entre le pouvoir officiel et les émigrés institués comme garde-frontières. L'impuissance de chefs militaires sur le Bas-Danube face aux invasions et la situation précaire qui y règne sont reconnus par les auteurs contemporains vers le milieu du siècle. Vers cette même période apparaissent aussi certaines personnalités d'origine petchenègue et autre et même des notables locaux qui arrivent à gravir l'échelle administrative, occupant des postes surtout dans la hiérarchie militaire et administrative moyenne. Ainsi apparaît la différence qui existe entre cette période et l'étape initiale de la domination byzantine en Bulgarie, lorsque les postes responsables étaient occupés par des fonctionnaires byzantins des provinces de l'Orient. Au cours des années 70 du XIe s., lorsque les forces locales s'insurgent contre le pouvoir officiel on en arrive même à la nomination d'un gouverneur du thème qui a „une parenté tribale" avec la population indigène (il s'agit du vestarque Nestor qui est peut-être un Bulgare des régions occidentales). Mais les événements suivant leur cours et Nestor passant du côté des insurgés, les forces locales arrivent à prendre le dessus

 

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pour une période de temps qui dure près de deux décennies. L'auteur caractérise cette situation comme une situation d'anarchie, comparable une fois de plus aux événements du Bas-Danube pendant le VIIe s. Mais il estime de manière catégorique qu'on ne peut parler d'un Paristrion indépendant qui aurait continué d'exister jusqu'à la bataille de Lebounion (1092), lorsque l'administration byzantine reprend le dessus. Pendant ces deux décennies — entre 1072 et 1092 — il n'y a pas eu de véritable „retrait" du pouvoir byzantin, comme il n'y a pas eu de véritable „retour". C'est pourquoi il ne peut être nullement question de formations étatiques dans le Paristrion.

 

Dans le chapitre IV„Reprise des régions du Bas-Danube par le gouvernement byzantin et les événements d u XIIe s." sont analysés les événements qui conduisent aux victoires d'Alexis Comnène, ses réformes, ainsi que celle de Jean et Manuel Comnène qui visent à améliorer la situation de l'armée régulière, etc. Sont considérées les étapes dans le renforcement du pouvoir byzantin au Nord de la chaîne des Balkans. L'auteur estime que la reprise du pouvoir byzantin est incomplète dans le Paristrion. Après plus d'un siècle d'invasions, de luttes, etc., dans les régions du Bas-Danube sont écloses de nouvelles forces qui se sont surtout manifestées lors des événements de 1072—1074. Ces forces se sont formées au sein des émigrés (installés de force ou en vertu d'accords) et qui se sont mélangés partiellement à l'élément bulgare. Chargés par le gouvernement byzantin des travaux de défense militaire, ceux-ci ont acquis des possibilités importantes. L'extension du système de la pronoia pose un problème de grande importance: il ne s'agit pas seulement de l'amélioration générale de l'armée au XIIe s. l'institution de la pronoia ayant un caractère militaire du moins à ses débuts (sur ce point l'auteur admet l'explication de G. Ostrogorsky, G. Litavrin, etc.). Il s'agit surtout de la présence parmi les pronoiaires byzantins à cette époque de représentants des éléments ethniquement mélangés du Paristrion, voire Bulgares — propriétaires terriens, peut-être de Valaques — propriétaires de bétail. Cette nouvelle orientation explique en grande partie la tournure que devaient prendre les événements dans le Paristrion au cours des dernières décennies du XIIe s.

 

Le chapitre V „La population du Bas-Danube aux XIe—XIIe ss." porte un caractère de généralisation. En premier lieu est présentée une analyse détaillée des témoignages fournis par les auteurs byzantins sur la composition ethnique de la population dans le Paristrion, car un siècle et demi d'invasions, de pillages, de transplantation ou d'établissements de populations

 

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diverses avait nécessairement entrainé des changements ethniques. Le terme de „Scythes", trop vague comme toujours, est employé quelquefois de manière très variée pour les événements du Paristrion. Il faut noter d'ailleurs que des auteurs comme Psellos et Jean Mauropus, en manière d'archaïsation, appellent quelquefois „Scythes" même les Bulgares. Les Pechenègues sont couramment désignés comme „Scythes", mais quelquefois cette même appellation de „Scythes" ou „Scythes paristriens" sert à indiquer plus généralement dés hordes de Petchenègues, mélangées de Koumanes. La population mélangée de la rive danubienne est également appelée „scythe" quelquefois. Michel Psellos et Anne Comnène emploient par deux fois l'archaïsme de „Mésiens" ou „Mésiens occidentaux" pour indiquer les Petchenègues. Or, cet archaïsme est courant, surtout pour l'époque qui va suivre, c'est-à-dire la fin du XIIe s. mais là il sert à désigner les Bulgares ou les Bulgares et les Valaques. A côté de „Scythes" on trouve aussi „Sauromates" pour les Petchenègues, comme pour les Magyares (les premiers étant considérés comme „orientaux" et les seconds comme „occidentaux"), enfin pour les Koumanes. Une seule fois les Ouzes sont désignés par l'appellation archaïque de „Triballes" qui sert normalement à indiquer les Serbes et les Croates. Les divers textes dénomment différemment les Magyares: ils sont le plus souvent des „Pannoniens". Il existe toujours des points obscurs dans l'emploi des archaïsmes, utilisés par les auteurs byzantins par tradition, mais aussi quelquefois par manque d'information suffisante. Est relevé également l'emploi de „Gètes" et de „Daces" au XIIe s. Les Ouzes et les Magyares sont indiqués comme „Gètes" suivant les cas. L'auteur remarque que „Gépides" et „Daces" qui désignent les Magyares se rapportent quelquefois aussi aux Serbes et, en général, à la population dalmate. Mais il n'y a pas de points d'appui pour qu'on puisse considérer que les archaïsmes de „Gètes" et de „Daces" qui sont couramment attribués aux Roumains du XIVe s., par exemple, sont employés égalementau XIIе s. pour désigner les populations roumaines transdanubiennes ou les Valaques de l'Hémus. L'auteur estime que cette „hypothèse de travail" n'est pas suffisamment argumentée et nécessite d'autres matériaux de comparaison, parce que l'on ne connaît point de luttes de Byzance contre des Roumains à cette époque. Or, les textes où l'on relève „Gètes" et „Daces" parlent surtout de luttes contre ces peuples et de victoires remportées sur eux.

 

Plus en détail est analysé l'archaïsme de „mixobarbares" dont l'apparition est une conséquence de longues périodes d'invasions. Dans le cas du Paristrion, le mélange ne se faisait point par rapport

 

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à la population hellénique (il n'y avait pas d'Hellènes au Bas-Danube), mais par rapport à la population locale, c'est-à-dire bulgare. Dans ce sens μιξοβάρβαροι n'est pas l'équivalent de μιξέλληνες. Si les auteurs byzantins se servent de cet archaïsme, ils ne considèrent pas la mixture du point de vue ethnique, mais du point de vue du ralliement des „Barbares" à l'Empire dont les confins s'étendaient jusqu'au Danube: c'est là la seule notion d'„hellénisme" par rapport à ces „mixobarbares". Ceux-ci apparaissent comme une suite des contacts prolongés entre la population bulgare locale et les éléments tûrks des régions au Nord du Danube. A ces „mélanges" s'ajoutaient éventuellement l'élément valaque, ainsi qu'un nombre plus restreint de Russes et même des étrangers venus se fixer de manière tout à fait fortuite, comme d'anciens mercenaires anglo-saxons.

 

Une tentative est faite en dernier lieu de donner une description du mode de vie de toute cette population pendant la période considérée. Il importe de relever l'existence de petites agglomérations (χωρία, ἐπαύλεις) en rapport avec le genre de vie d'agriculteur et des éleveurs de bétail. Mais il importe surtout d'attirer l'attention sur l'existence de grandes villes le long du Danube qui indiquent que les anciens nomades s'étaient ralliésà la vie urbaine deces régions. Les particularités du mode de vie dans le Paristrion, comme conséquence des changements démographiques et ethniques survenus et par suite de la présence de la population frontalière posent des questions sur le développement du régime féodal dans ces régions où la formation de la grande propriété foncière ne subit pas l'influence directe de Byzance.

 

Enfin l'auteur constate qu'une partie de la population émigrée ne s'installait pas de manière durable dans les terres du Paristrion. C'est ce que laissent supposer les témoignages de l'archéologie et de la toponymie. En effet, dans la Bulgarie du Nord et la Dobroudja il n'y a que des vestiges peu nombreux de toponymie türke et pas de toponymie roumaine, ce qui montre que ces populations ont disparu relativement vite ou bien qu'elles ne menaient pas une vie sédentaire. Comme cela a été indiqué, il semble qu'on pourrait admettre les deux cas.

 

Dans la conclusion est esquissée la voie suivie dans le développement des régions du Bas-Danube en tant que zone-frontière de l'Empire byzantin aux XIe et XIIe ss. L'organisation administrative et militaire ont subi des changements en rapport avec la situation générale de l'Empire et les conditions locales. Sur ce territoire bulgare, exposé pendant un siècle et demi aux invasions du Nord et soumis à une autorité étrangère, se réalisent des conditions qui

 

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mènent petit à petit à la restauration de l'Etat bulgare. Cette restauration se fera au nom de l'ancienne tradition bulgare. Elle mûrit parmi les forces écloses dans le Paristrion au cours de cette longue période. Servant dans l'armée comme garde-frontières ou (plus rarement) ayant conservé leurs droits de chefs indépendants, les étrangers entraient en relations avec les propriétaires terriens bulgares qui apparaissaient surtout parmi les couches moyennes de l'administration byzantine locale et avec les notables valaques de la population des pasteurs de l'Hémus. Tous procédaient à partir de leurs propres intérêts, mais face au pouvoir byzantin incapable de les protéger et même hostile, ils s'unissaient tout naturellement et se voyaient prêts à retourner contre ce pouvoir les armes qui leur étaient confiées pour qu'ils le défendent.

 

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