Le culte de saint Martin de Tours dans la Terre d’Otrante hellénophone

 

André Jacob

 

 

Puer Apuliae. Mélanges offerts à Jean-Marie Martin, éd. E. Cuozzo, V. Déroche, A. Peters-Custot et V. Prigent, vol. 1, 345-356

(Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 30), Paris 2008

 

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C’est à l’historien Sozomène, qui se basait sans doute sur un résumé de la célèbre Vie composée par Sulpice Sévère, que revient le mérite d’avoir fait connaître au monde byzantin l’existence de saint Martin [1]. Plus tard, au VIIIe ou au IXe siècle, fut composée une Vie grecque de l’évêque de Tours [2], qui jouit d’un certain succès puisque quatorze manuscrits au moins nous l’ont conservée [3], dont huit sont indiscutablement de provenance italiote [4]. Malgré la présence d’une notice, par ailleurs dédoublée, dans le Synaxaire de Constantinople [5], son culte n’a pour ainsi dire connu aucune diffusion dans l’Eglise byzantine,

 

 

1. H. Delehaye, La Vie grecque de saint Martin de Tours, Studi bizantini e neoellenici 5, 1939 (= Atti del V congresso internazionale di studi bizantini [Roma, 20-26 settembre 1936]), p. 428-431 ; l’article est repris dans Id., Mélanges d’hagiographie grecque et latine, Bruxelles 1966 (Subsidia hagiographica, 42), p. 403-407.

 

2. Elle a été publiée par F. Halkin, Légende grecque de saint Martin, évêque de Tours, RSBN n. s. 20- 21, 1983-1984, p. 69-91.

3. Liste de ces mss, ibid., p. 69, note 2.

 

4. Il s’agit des Vaticani gr. 1631, 1669 et 2048 (A. Ehrhard, Überlieferung und Bestand der hagiographischen und homiletischen Literatur der griechischen Kirche von den Anfängen bis zum Ende des 16. Jahrhunderts, Leipzig 1937-1932 [TU, 50], I, p. 323-325, 488-491, 302-306), du Chisianus R VI 39 (ibid., p. 317-319), de l’Ottobonianus gr. 1 (ibid., p. 293-298), des Ambrosiani G 63 sup. (ibid., II, p. 188-189) et D 92 sup. (ibid., III, p. 782-783) et, enfin, du Messanensis gr. 30 (ibid., III, p. 443-446). A l’exception du dernier, copié au Saint-Sauveur de Messine en 1307, tous ont été transcrits en Calabre, la plupart au XIe siècle, mais on remarquera que l’Ambrosianus G 63 sup. a sans doute séjourné assez longtemps dans le Salento, puisqu’il a été acheté à Otrante en 1606, et que l’Ottob. gr. 1 a été supplémenté par un copiste salentin. La présence notable de mss italo-grecs dans la tradition manuscrite rend plausible, sinon probable, l’hypothèse de Delehaye, La Vie grecque (cité n. 1), p. 431, pour qui le texte aurait pu voir le jour dans les milieux monastiques de l’Italie méridionale byzantine.

 

5. Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi, adiectis synaxariis selectis, éd. H. Delehaye, Bruxelles 1902 (Propylaeum ad Acta sanctorum novembris), col. 211-212 (10 et 12 novembre) ; cf. Id., La Vie grecque (cité n. 1), p. 431 (la notice s’inspire en partie du passage de Sozomène). Comme on le sait, le Ménologe de Basile II (Vat. gr. 1613, p. 176), à la date du 12 novembre, lui consacre une miniature, qui figure le miracle de la résurrection du débiteur.

 

 

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comme il ressort à l’évidence de l’absence complète de sanctuaires portant son nom à Constantinople ou dans les provinces orientales de l’Empire [6] et de l’extrême rareté de son nom dans l’anthroponymie grecque [7].

 

Il va de soi que la situation est tout autre en Italie, où les attestations de son culte sont anciennes et nombreuses [8]. Qu’il suffise de citer ici quelques exemples célèbres, comme l’église de Saint-Martin in Thermis, érigée à Rome au temps du pape Symmaque (498- 514) [9], l’église édifiée par saint Benoît au Mont-Cassin [10], selon le récit de Grégoire le Grand, ou l’abbaye de Saint-Martin delle Scale, que ce dernier fonda en son honneur non loin de Palerme [11]. Comme l’a souligné Wilpert, l’évêque de Tours est, avec le pape Sylvestre, le premier saint non martyr qui ait été représenté dans les sanctuaires chrétiens et ait bénéficié du nimbe [12], comme en témoigne, par exemple, son effigie dans l’église de Saint-Apollinaire-le-Neuf à Ravenne.

 

Pour ce qui concerne l’Italie méridionale hellénophone à l’époque byzantine, le culte de saint Martin est attesté de quelque manière dans la Calabre méridionale, où le Brébion de Reggio, vers le milieu du XIe siècle, mentionne un monastère de Saint-Martin [13], qui ne laisse pas de poser quelques problèmes, à commencer par les deux toponymes qui l’accompagnent, Squillace (cité épiscopale à l’intérieur des terres) et Soverato (sur la mer ionienne), localités distantes d’une dizaine de km à vol d’oiseau [14]. Vu la proximité géographique, on pense tout naturellement à Saint-Martin de Copanello, qui fut, comme P. Courcelle l’a bien montré, l’église du monastère de Vivarium [15].

 

 

6. R. Janin, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin. Première partie : Le siège de Constantinople et le patriarcat œcuménique. III. Les églises et les monastères, Paris 1933 (Publication de l’Institut français d’études byzantines) ; Id., Les églises et les monastères des grands centres byzantins (Bithynie, Hellespont, Latros, Galèsios, Trébizonde, Athènes, Thessalonique), Paris 1975 (Géographie ecclésiastique de l’empire byzantin, 2).

 

7. Un acte tardif de Lavra (1317) mentionne plusieurs membres d’une même famille Μαρτῖνος (Actes de Lavra. II. De 1204 à 1328, éd. P. Lemerle, A. Guillou, N. Svoronos, D. Papachryssanthou, Paris 1977 [Archives de l’Athos, 8], n° 104, p. 110-112) ; un σὺρ Μαρτῖνος Πέρος, καβαλλάριος, sans doute un Italien, est cité dans les Actes de Xénophon, éd. D. Papachryssanthou, Paris 1986 (Archives de l’Athos, 15), n° 4, p. 87.

 

8. Le retentissant succès de librairie que connut à Rome la Vie composée par Sulpice Sévère et dont parle l’auteur lui-même (Dialogi, I, 23) n’y est sans doute pas étranger.

9. M. Armellini, Le chiese di Roma dal secolo IV al XIX, 2e éd. par C. Cecchelli, Rome 1942,1, p. 267- 272; J. Wilpert, Die römischen Mosaiken und Malereien der kirchlichen Bauten vom IV.-XIII. Jahrhundert, 2e éd., Fribourg-en-Brisgau 1916, II, p. 328-330.

10. Cf. par exemple, A. Pantoni, L’identificazione della basilica di S. Martino a Montecassino (Tradizione storica e risultati di scavi recenti), Benedictina 6, 1953, p. 347-356.

11. Cf. L. H. Cottineau, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et prieurés, II, Mâcon 1937 (rééd. Paris -Turnhout 1995), col. 2179.

12. Wilpert, Die römischen Mosaiken und Malereien (cité η. 9), I, p. 102.

13. A. Guillou, Le brébion de la métropole byzantine de Région (vers 1050), Cité du Vatican 1974 (Corpus des actes grecs d’Italie du Sud et de Sicile. Recherches d’histoire et de géographie, 4), p. 195, L 457.

14. Il n’est pas exclu que le document se réfère aux propriétés du monastère qui s’y trouvaient.

15. P. Courcelle, Le site du monastère de Cassiodore, Mélanges de l’Ecole française de Rome 55, 1938, p. 259-307 ; voir aussi F. Bougard et Gh. Noyé, Fouilles de la section Moyen Âge. 4 - Squillace (prov. de Catanzaro), MÉFRM 98, 1986, p. 1195-1204.

 

 

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Le Brébion renferme en outre deux anthroponymes : ὁ τοῦ Βερσέου Μαρτῖνος [16]; ... παπᾶ Βασιλείου τ(ουρ)μ(άρ)χ(ου) τοῦ υἱοῦ τοῦ Μαρτίνου [17]. Même si elles ne sont pas nombreuses, ces attestations s’expliquent peut-être par l’ample diffusion de la Vie grecque de saint Martin dans les livres hagiographiques calabrais.

 

Aux alentours de 960 et jusqu’à la fin du Xe siècle, des moines siciliens et calabrais vinrent s’établir dans le nord de la Basilicate, comme saint Vital de Castronovo, qui termina ses jours près de Rapolla [18] ; il est donc assez naturel de rattacher idéalement à la Calabre l’église de Saint-Martin-des-Grecs à Venosa [19], d’autant plus qu’un acte de Roger II pour l’abbé de la Sainte-Trinité de Venosa, daté de 1117, parle explicitement des monasteria Graecorum in pertinentiis Sancti Martini de Calabria [20] ; en 1261, l’église fut rattachée à Grottaferrata avec le monastère de Saint-Nicolas de Morbano [21].

 

Il est temps de passer maintenant à la diffusion du culte de saint Martin dans les Pouilles, en commençant par la Pouille lombarde sous domination byzantine, où une église lui a été dédiée à Monopoli en 981 [22] et où des monastères portent son nom aussi bien à Troia (avant 1050) [23] qu’àTrani (avant 1075) [24].

 

Même si la rareté des sources - parfois même, leur absence complète - doit nous inciter à manier avec prudence l’argument du silence, aucun indice, en revanche, ne permet de penser que son culte soit parvenu très tôt dans le Salento méridional de langue grecque et de rite byzantin. Au Moyen Age, cette zone hellénophone, encore que non homogène, était beaucoup plus étendue que ne l’imaginaient les linguistes [25] et coïncidait grosso modo avec l’actuelle province de Lecce. Bien qu’il ne puisse être question ici de la décrire en détail ni de raconter son érosion progressive au profit du latin et de l’italien,

 

 

16. Guillou, Le brébion (cité n. 13), p. 174, l. 177.

17. Ibid., p. 196, l. 473-476.

18. Cf. J. Gay, L’Italie méridionale et l'Empire byzantin depuis l'avènement de Basile Ier jusqu'à la prise de Bari par les Normands (867-1071), Paris 1904 (BÉFAR, 90), p. 377-378.

 

19. Sur cette église, voir G. Lunardi, H. Houben et G. Spinelli dir., Monasticon Italiae. III. Puglia e Basilicata, Cesena 1986, n° 94, p. 201 ; P. Belli d’Elia, dans Ead. dir., Icone di Puglia e Basilicata dal Medioevo al Settecento (Bari, Pinacoteca provinciale, 9 ottobre-11 dicembre 1988), Milan 1988, notice 16, p. 113 (à propos de la Madonna dell’Idria, conservée anciennement dans l’église Saint-Martin-des-Grecs de Venosa). L’église est mentionnée à diverses reprises dans des documents du monastère de Saint-Nicolas de Morbano de 1228, 1233 et 1236 : cf. R. Briscese, Le pergamene della cattedrale di Venosa, Archivio storicoper la Calabria e la Lucania 10, 1940, p. 115, 116 et 239.

 

20. G. Crudo, La SS. Trinità di Venosa. Memorie storiche, diplomatiche, archeologiche, Trani 1899, p. 206- 207.

21. Bulle d’Urbain IV (Briscese, Le pergamene [cité n. 19], p. 246).

22. Lunardi - Houben - Spinelli, Monasticon Italiae (cité n. 19), III, n° 208, p. 78; G. M. Monti, Codice diplomatico brindisino, I (492-1299), réimpr., Bari 1977, n° 1, p. 3-4.

23. Lunardi - Houben - Spinelli, Monasticon Italiae (cité n. 19), III, n° 344, p. 113 ; J.-M. Martin, Les chartes de Troia. Edition et étude critique des plus anciens documents conservés à l’Archivio Capitolare, I (1024-1266), Bari 1976 (Codice diplomatico pugliese, 21), n° 9, p. 96-97.

24. Lunardi - Houben - Spinelli, Monasticon Italiae (cité n. 19), III, n° 328, p. 108-109.

25. Voir, par exemple, la carte n° 3, établie, pour les XIVe et XVe siècles, par G. Rohlfs, Lexicon graecanicum Italiae inferioris. Etymologisches Wörterbuch der unteritalienischen Gräzität, Tübingen 19642, avant la p. XVII.

 

 

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on notera toutefois que les localités dépourvues de tout vestige byzantin - quil s’agisse d’inscriptions, de manuscrits, de sanctuaires, de peintures, d’actes, de toponymes, de clercs ou de personnages connus - y sont très rares et se situent surtout à l’ouest de la province.

 

Le plus ancien témoignage relatif à la présence du culte de saint Martin dans le Salento grec remonte à 1133, soit en pleine période normande. A cette date, Achard, seigneur de Lecce, donne à sa sœur Agnès, abbesse de Saint-Jean-l’Évangéliste de cette ville, le casale de Cisterno, dont l’acte précise les confins [26]; il est situé à proximité de l’église Saint-Georges de Surbo [27] et s’étend jusqu’aux abords des domaines du monastère grec de Sainte-Marie de Cerrate [28], en passant circa porcilia inter Sanctum Martinum. Il ne fait aucun doute que l’on ait affaire ici au tenimentum S. Martini, près du casale d’Aurio [29], cité un peu plus tard, en 1180, dans la charte de fondation du monastère des Saints-Nicolas-et-Cataldus de Lecce [30]. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit sans doute d’une église, mais rien ne permet de savoir de façon sûre si elle était de rite latin ou grec. La seconde hypothèse est toutefois la plus probable car elle se trouvait au cœur d’une zone à grande densité hellénophone, juste au nord de Lecce, où l’usage de la langue grecque était encore vivant au XVe siècle, ainsi qu’il ressort des nombreux graffiti découverts dans une carrière aux abords de la Torre di Belloluogo [31].

 

Il faut attendre presque un siècle pour trouver une autre attestation du culte de l’évêque de Tours dans la Terre d’Otrante méridionale.

 

 

26. M. Pastore, Le pergamene di San Giovanni Evangelista in Lecce, Lecce 1970 (Monumenti. Centro di Studi salentini, 1), p. 2.

 

27. Sur cette église grecque, aujourd’hui disparue, voir C. De Giorgi, La provincia di Lecce. Bozzetti, Lecce 1888, II, p. 295-296, qui la date du XIe siècle et évoque «le iscrizioni greche che si leggono sui muri esterni della facciata». Elle dépendait de Sainte-Marie de Cerrate : cf. C. D. Poso, Il Salento normanno. Territorio, istituzioni, società, Galatina 1988 (Università degli studi di Lecce. Dipartimento di Scienze storiche e sociali. Serie seconda. Saggi e ricerche, 1), p. 106-109, pour qui il s’agirait d’un monastère italo-grec. Nous publierons prochainement l’inscription funéraire de Saint-Georges de Surbo signalée dans A. De Masi, Surbo, Cavallino di Lecce 1981, p. 16 et note 5.

 

28. Sur ce monastère, voir Poso, Il Salento normanno (cité n. 27), p. 102-106, et les recherches d’A. Jacob, Cerrate en Terre d’Otrante ou Carrà en Calabre dans la souscription du Vaticanus gr. 1221 ?, Helikon 31-32, 1991-1992, p. 427-439; La fondation du monastère de Cerrate à la lumière d’une inscription inédite, Rendiconti della Classe di scienze morali, storiche e filologiche dell’Accademia nazionale dei Lincei 9e sér. 7, 1995, p. 211-223 ; Le ciborium du prêtre Taphouros à Cerrate et son inscription, dans E. Cuozzo et J.-M. Martin éd., Cavalieri alla conquista del Sud. Studi sull’Italia normanna in memoria di Léon-Robert Ménager, Rome - Bari 1998 (Centro Europeo di Studi Normanni. Fonti e Studi, 4), p. 117-133.

 

29. Il existe encore aujourd’hui à Aurio une église ancienne, sur les colonnes de laquelle on relève la présence de graffiti grecs; description dans De Giorgi, La provincia di Lecce (cité n. 27), II, p. 296-297.

30. P. De Leo, Le carte del monastero dei Santi Niccolò e Cataldo in Lecce (secc. XI-XVII), Lecce 1978 (Centro di Studi Salentini. Monumenti, 2), p. 9.

31. Cf. G. Mazzeo, I ninfei di Fulgenzio e Belloluogo, Lu lampiune. Quadrimestrale di cultura salentina 6/1, 1990, p. 39-47, passim; A. Calabrese, Sulle iscrizioni greche del “ninfeo” di Belloluogo, ibid., p. 326- 327.

 

 

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En 1219, Frédéric II confirme les privilèges et les propriétés de l’Église d’Otrante et lui en concède d’autres, parmi lesquelles une ecclesiam sancti Martini de Bodisco [32]. Porto Badisco, situé sur la côte adriatique [33], à quelque 8 km au sud d’Otrante, est surtout connu pour les peintures préhistoriques conservées dans une grotte de l’endroit [34]. Il est probable qu’à l’époque il y existait un quelconque habitat ou un véritable casale [35], puisqu’une autre église, celle de Sainte- Marie de Barisco, est mentionnée un an plus tôt, en 1218, dans un document établi par Honorius III pour confirmer les privilèges du monastère grec de Saint-Nicolas de Casole [36]. Il est superflu de souligner que toute la région qui s’étend entre Otrante et Castro, en particulier l’arrière-pays, est profondément hellénisée et le restera jusqu’à la fin du Moyen Age.

 

Signalons en passant qu’il existait des églises de Saint-Martin un peu plus au nord, dans la région de Brindisi, et plus précisément dans le casale de Monticello, au sud de Mesagne [37], et dans la ville de Brindisi elle-même; elles sont mentionnées en 1233 dans un acte par lequel Grégoire IX confirme les possessions d’un monastère de la ville, celui des moniales de Sainte-Marie, fondé par Sichelgaita et son fils Tancrède de Conversano [38]. Il est inutile d’ajouter que la présence grecque est importante dans la ville même et aux alentours de Brindisi [39], ainsi que dans le diocèse [40].

 

Dans son catalogue des églises de Lecce, Infantino signale une église grecque de Saint- Martin, dédiée également à saint Biaise et fondée par un prêtre nommé Leucius [41].

 

 

32. J.-L.-A. Huillard-Bréholles, Historia diplomatica Friderici secundi, Paris 1832,1, 2, p. 641 ; analyse du document dans H. Houben, Comunità cittadina e vescovi in età normanno-sveva, dans Id. éd., Otranto nel Medioevo tra Bisanzio e l’Occidente, Galatina 2007 (Università dei Salento. Dipartimento dei béni delle arti e della storia. Saggi e testi, 33), p. 90-93.

33. On trouvera une excellente description de la côte entre Otrante et Porto Badisco, ainsi qu’un relevé des découvertes archéologiques, dans R. Auriemma, Salentum a salo. Porti, approdi, merci e scambi lungo la costa adriatica del Salento, Lecce [Galatina] 2004 (Università di Lecce. Dipartimento di béni culturali. Collana del Dipartimento, 9), I, p. 249-260.

 

34. Cf. P. Graziosi, Le pitture preistoriche delle grotte di Porto Badisco, Rendiconti della Classe di scienze morali, storiche e filologiche dell’Accademia nazionale dei Lincei 8e sér. 26, 1971, p. 63-70.

35. Une phase médiévale de l’occupation du site y est attestée : cf. Auriemma, Salentum a salo (cité n. 33), p. 259-260 (le microtoponyme Palade pourrait provenir du mot palatium).

36. D. Vendola, Documenti tratti dai registri Vaticani (da Innocenzo III a Nicola IV), Trani 1940 (Società di Storia patria per la Puglia. Documenti Vaticani relativi alla Puglia, 1), I, n° 89, p. 86.

37. Sur la possible localisation de ce casale, voir Poso, Il Salento normanno (cité n. 27), p. 78, n. 139.

38. Vendola, Documenti tratti dai registri Vaticani (cité n. 36), I, n° 184, p. 163.

 

39. Qu’il suffise ici de citer les monastères byzantins de Saint-Biaise (en dehors de la ville), de Saint-Leucius, de Sainte-Marie de Balneo, de Sainte-Marie de Ferorelle (cf. Lunardi - Houben - Spinelli, Monasticon Italiae [cité n. 19], III, nos 73, 74, 76 et 77, p. 44-46) et peut-être aussi celui de la Sainte-Trinité.

 

40. Pour Mesagne, en particulier, voir J.-M. Martin, Le domaine royal de Mesagne aux XIIe et XIIIe siècles, dans Cuozzo - Martin, Cavalieri alla conquista del Sud (cité n. 28), p. 413; bibliographie détaillée dans M. Berger et A. Jacob, Des peintures pré-iconoclastes en Terre d’Otrante. Les fresques de l’église S. Pietro à Crepacore et leur dédicace, MÉFRM 119, 2007, p. 26, n. 8.

41. G. C. Infantino, Lecce sacra, Lecce 1634, p. 79-80.

 

 

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Le formulaire de sa dédicace, qui ne renferme aucune date et ne nous est connu qu’à travers la version latine de l’auteur de l’ouvrage, semble bien indiquer quil s’agissait d’une inscription métrique [42].

 

Nihil est quod in vita manentes delectet magis, quod sanctorum virorum immortalis splendor. Venerantur hos reges, et satrapae eorum, qui simulacra honorant in quibus hierarcharum principes luciferi eximie splendent. O hospes uterque orbis ambitum exornans, exoriens Blasius ex Asia, Martinus ex occasu lumen expirans. His peccator Leucius sacerdos, venerandum hoc templum erexit, ut culparum suarum reatu solveretur. Hymnum dicite igitur, dicite hymnum, laus enim hos decet omnis.

 

Le témoignage suivant est plus récent encore, mais beaucoup plus circonstancié, et vaut la peine qu’on l’examine en détail. Il s’agit d’une note transcrite sur le feuillet de garde IXr du Parisinus gr. 2631 [43], un manuscrit palimpseste [44] de provenance salentine, datable de la première moitié du XIIIe siècle et renfermant un Etymologicum [45]. Parmi les écritures inférieures, il convient de signaler, en particulier, les six quaternions d’un ancien manuscrit latin noté de l’office, dont une étude de Mme M.-N. Colette a fait ressortir l’intérêt exceptionnel [46]. Nous ne nous attarderons pas ici sur quelques ajouts marginaux tels qu’une épigramme à la gloire d’un protopape de Lecce [47] ou un autre poème, mutilé de la fin, consacré également à un protopape [48],

 

 

42. Bien quelle soit métrique, la dédicace de l’église Saint-Jean-Baptiste del Malato à Lecce porte une date (1304/1305), exprimée elle aussi en dodécasyllabes, comme au reste celle d’une église non identifiée de Tous-les-Saints : cf. A. Jacob, Une bibliothèque médiévale de Terre d’Otrante (Parisinus gr. 549), RSBN n. s. 22-23, 1985-1986, p. 307-308, note 117.

 

43. Signalée dans A. Jacob, Culture grecque et manuscrits en Terre d’Otrante, dans Atti del III° Congresso internazionale di studi salentini e del I° Congresso storico di Terra d’Otranto (Lecce, 22-25 ottobre 1976), Lecce 1980, p. 63 et note 53, avec la date - erronée - de 1477, correspondant à l’année du monde 6985. G. L. Di Mitri, Il testamento che non c’è, Bollettino storico di Terra d’Otranto 7, 1997, en a donné une édition assez approximative (p. 58), accompagnée d’une traduction qui l’est tout autant, sinon plus (p. 33), reprenant à son compte la date de 1477.

 

44. Brève description dans H. Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale, Paris 1888, III, p. 16.

45. Voir R. Reitzenstein, Geschichte der griechischen Etymologika. Ein Beitrag zur Geschichte der Philologie in Alexandria und Byzanz, Leipzig 1897, p. 71 ; liste d’etymologica copiés dans le Salento dans Jacob, Une bibliothèque médiévale de Terre d’Otrante (cité n. 42), p. 308-309.

 

46. M.-N. Colette, Un graduel-antiphonaire-responsorial noté sauvé de l’oubli (palimpseste Paris, BNF., grec 2631). Région de Turin, Xe siècle, Revue de musicologie 83/1, 1997, p. 65-79. À l’instar de tant d’autres manuscrits importants du Salento, il a fait partie jadis de la bibliothèque du cardinal Ridolfi († 1551) ; quelques-uns d’entre eux sont cités dans A. Jacob, Les annales d’une famille sacerdotale grecque de Galatina dans l’Ambrosianus C 7 sup. et la peste en Terre d’Otrante à la fin du Moyen Âge, Bollettino storico di Terra d’Otranto 1, 1991, p. 24, n. 9 ; sur la bibliothèque Ridolfi, voir H. Omont, Un premier catalogue des manuscrits grecs du cardinal Ridolfi, Bibliothèque de l’Ecole des Chartes 49, 1888, p. 309-324.

 

47. Édition par A. Jacob, Sergio Stiso de Zollino et Nicola Petreo de Curzola. À propos d’une lettre du Vaticanus gr. 1019, dans C. M. Mazzucchi et Ch. Faraggiana éd., Bisanzio e l’Italia. Raccolta di studi in memoria di Agostino Pertusi, Milano 1982 (Pubblicazioni della Università cattolica del Sacro Cuore. Scienze filologiche e letteratura, 22), p. 157.

48. Marge inférieure du f. 162r, inc. Ὁ πρωτοπαπᾶς κτίσεως πάσης κάρα.

 

 

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pour passer sans plus attendre à l’édition de la note en question, relative aux Rizzo de Soleto, une importante famille de prêtres et de copistes grecs, qui connut son heure de gloire dans la seconde moitié du XVe siècle et dans le premier quart du XVIe siècle [49].

 

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En l’an 6985, pendant le règne du roi Ferdinand, huitième indiction, le jeudi 21 mars, à la troisième heure du jour, est morte la servante de Dieu Rosa, fille de Georges Mangione [50], femme de Martin, le fils d’Antoine Jean Rizzo, tous de la ville de Soleto. Elle a été ensevelie par ses enfants et petits-enfants dans l’église Saint- Martin, dans le sépulcre où repose la mère de son conjoint et la sœur de ce dernier, Marie. Ce sépulcre est situé dans l’église en question, en face de l’icône de la très-sainte Mère de Dieu. On venait de fêter le (dimanche) de l’adoration de la vénérable et vivifiante Croix, au milieu du Carême. Au terme d’une existence vertueuse en compagnie de son mari, de ses trois fils et de ses quatorze petits-enfants, elle s’est éteinte au jour dit, dans un âge avancé et en invoquant le Seigneur. En cette année, Pâques tombait le 14 avril. Moi, le prêtre Etienne, auteur de cette note et son plus jeune fils, je demande à tous ceux qui la liront de prier pour elle.

 

 

49. Cf. M. Berger et A. Jacob, La chiesa di S. Stefano a Soleto. Tradizioni bizantine e cultura tardogotica, Lecce 2007 (Terra d’Otranto bizantina, 1), p. 10-11.

50. Le génitif devrait être Μανγζούν(η) ou, peut-être, Μανγζου(νίου); la lecture Μανγζου(νοῦ) de Di Mitri, Il testamento che non c’è (cité n. 43), p. 58, ne peut être retenue.

 

 

352

 

Avant de commenter ces lignes, il est nécessaire de déterminer la date exacte de l’obit car le synchronisme des divers éléments est loin d’y être parfait. L’année du monde 6985, en effet, correspond à l’année 1477 de l’ère chrétienne et la huitième indiction renvoie à l’année 1475 ; quant à la fête de Pâques, elle ne tomba le 14 avril ni en 1475 ni en 1477, mais bien en 1476 (le dimanche de l’adoration de la Croix, qui précéda de peu le décès de Rosa Rizzo, fut célébré le 17 mars) [51]. Il est probable que l’auteur de la note, comme tant d’autres copistes salentins des XVe et XVIe siècles, utilisait l’ère chrétienne dans la vie de tous les jours et éprouvait quelque difficulté à manier l’ère du monde et l’indiction [52]. L’indication du jour de la semaine confirme ces soupçons et joue ici le rôle d’arbitre puisque le 21 mars était bien un jeudi en 1476.

 

Plus qu’un simple obit, la note d’Etienne Rizzo apparaît comme un véritable faire-part de décès d’un ton particulièrement solennel, dans lequel les informations relatives à sa famille laissent transparaître la fierté qu’il ressent d’y appartenir. Le caveau de famille que les Rizzo possèdent dans l’église Saint-Martin [53] constitue en quelque sorte le symbole visible de l’honorabilité de la lignée. Le prénom Martin que porte le père d’Etienne s’explique sans doute par les liens étroits que les Rizzo avaient avec cette église.

 

Une confirmation de l’existence du culte de l’évêque de Tours à Soleto nous est fournie par le calendrier du Corsinianus 41 E 31 (vers 1580) [54], dépourvu de colophon, mais dans lequel on reconnaît aisément la main du copiste local Etienne Ripa [55], qui acheva en 1583 le Barber. gr. 383. A la date du 11 novembre, à côté de Théodore Stoudite, ce calendrier mentionne saint Martin et lui consacre un tropaire propre sous le titre Ἕτερον τοῦ ὁσίου Μαρτίνου · Πάντα πόνον ἐπέμεινας ὑπὲρ τῆς ἀληθείας, πάτερ Μαρτῖνε ὅσιε, καὶ ἐν διωγμοῖς περισσοτερως · διὸ παρρησίαν ἔχων ἐν ὑψίστοις, πρέσβευε Χριστῷ τῷ θεῷ σωθῆναι τὰς ψυχὰς ἡμῶν [56]. En 1598, Antonio Arcudi, protopape de Soleto, l’inclut également dans son Anthologion [57].

 

 

51. Di Mitri, ibid., p. 33, ne semble pas avoir compris qu’il s’agissait du troisième dimanche de Carême et donne de ce passage une traduction incompréhensible : « nella stessa cappella aweniva anche l’adorazione della preziosa Croce datrice di vita, nella partecipazione alla santa Quaresima».

52. Voir, à ce propos, Jacob, Les annales (cité n. 46), p. 33-37, ainsi que la bibliographie citée à la p. 34, note 74 ; ID., Un nouveau manuscrit des Hymnes orphiques et son copiste, François Cavoti de Soleto, L'Antiquité classique 52, 1983, p. 250.

53. Cette église est citée dans la Visite pastorale du diocèse d’Otrante de 1538 : cf. V. Boccadamo, Terra d’Otranto nel Cinquecento. La Visita pastorale dell’archidiocesi di Otranto del 1522, Galatina 1990 (Società e religione, 11), p. 115.

54. Le calendrier occupe les f. 149v-161r.

55. Pour l’identification, cf. A. Jacob, Épidémies et liturgie en Terre d’Otrante dans la seconde moitié du XIVe siècle, Helikon 31-32, 1991-1992, n. 126 ; description détaillée dans M. L. Agati, Catalogo dei manoscritti vreci della Biblioteca dell’Accademia nazionale dei Lincei, Rome 2007 (Bollettino dei classici. Supplemento, 24), p. 75-82.

56. Il n’est pas connu du répertoire d’E. Follieri, Initia hymnorum Ecclesiae graecae, Cité du Vatican 1962 (Studi e testi, 213), III, O-Σ, p. 269, qui signale, en revanche le tropaire Πάντα πόνον ὑπὲρ τῆς ἐκκλησίας ὑπέμεινας, dont l’incipit se trouve dans la revue Ἐκκλησιαστικός Φάρος 37, 1938, p. 244.

57. A. Arcudi, Νέον Ἀνθολόγιον, Rome 1598, p. 129. On notera cependant que le calendrier du Borgianus gr. 7 (Soleto, première moitié du XVe siècle) ne le mentionne pas.

 

 

353

 

Des églises, probablement d’origine médiévale, sont placées sous le patronage de saint Martin dans deux localités très proches de Soleto, à savoir Galatina et Corigliano [58]. On en trouve une également à Copertino, au diocèse de Nardo [59], village où la présence d’une population de rite byzantin est bien attestée à la fin du Moyen Âge [60]. Une chapelle de Saint- Martin se trouvait près de Morciano di Leuca [61], dans le diocèse d’Ugento, aux confins de l’ancien diocèse d’Alessano, région dense de vestiges byzantins [62] et où le grec était encore parlé dans les campagnes au XVIe siècle, comme en témoigne le récit du géographe dominicain Leandro Alberti [63]. Nous sommes mieux renseignés sur Saint-Martin, l’église principale deTaviano, localité située à 10 km environ au sud-est de Gallipoli et appartenant anciennement au diocèse de ce nom, puisqu’elle est mentionnée en 1452 dans les procès-verbaux de la Visite pastorale de l’évêque de Nardo Ludovico de Pennis : les livres liturgiques qui s’y trouvaient (euchologe, ménées, prophetologia) montrent clairement que les cérémonies liturgiques s’y déroulaient encore selon le rite byzantin [64]. Il n’est sans doute pas sans intérêt, enfin, de relever que l’église paroissiale de Calimera, au cœur de Factuelle Grecia salentine, est placée sous le patronage de saint Brice, successeur de Martin sur le siège de Tours, et que l’on y officiait en rite byzantin [65].

 

* * *

 

 

58. Boccadamo, Terra d’Otranto nel Cinquecento (cité n. 53), p. 114 et 115 (Visite pastorale de 1538).

59. C. G. Centonze, A. De Lorenzis et N. Caputo, Visite pastorali in diocesi di Nardo (1452-1501), Galatina 1988 (Fond medievali e moderne per la storia di Terra d’Otranto, 1), p. 68 et 81.

 

60. Voir à ce propos D. Vendola, Rationes decimarum Italiae nei secoli XIII e XIV. Apulia - Lucania - Calabria, Cité du Vatican 1939 (Studi e testi, 84), n° 1647, p. 123 (décimes de 1373) ; A. Jacob, Une dédicace de sanctuaire inédite à la masseria Li Monaci, près de Copertino en Terre d’Otrante, MÉFRM 94, 1982, p. 703-710; L. Duval-Arnould et A. Jacob, Pietro Polidori et sa description du diocèse de Nardo en 1412 : ultimes réflexions sur une contrefaçon, Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano 95, 1989 [1992], p. 303.

61. G. Ruotolo, Ugento — Leuca —Alessano. Cenni storici e attualità, 3e éd., Sienne 1969, p. 234 ; des informations un peu plus détaillées dans C. D’Aquino, Morciano di Leuca, Cavallino di Lecce 1988 (Storie municipali, 14), p. 124 (le sanctuaire, aujourd’hui disparu, se trouvait sur la route de Morciano à Torre Vado et renfermait une peinture ancienne représentant saint Martin, conservée actuellement dans l’église paroissiale).

 

62. Églises, fresques ou inscriptions sont présentes dans la plupart des localités avoisinantes, comme Alessano (inscription funéraire de 1130, dédicace d’église du XVIe siècle), Montesardo (restes de fresques dans le monastère féminin de Sainte-Barbe), Giuliano (ruines de l’église Saint-Pierre), Patù (église des Centopietre), Salve (peintures du XIe siècle dans l’église de Saint-Biaise), Presicce (inscription funéraire du XIe siècle, graffiti de la même époque à la Madonna della Grotta) ou Acquarica del Capo (fresques datées de 1293 dans la chapelle de Saint-Nicolas à Celsorizzo, église de la Madonna dei Panetti, inscription gravée de 1121/1122).

 

63. «Pigliando il uiaggio da Monte Sardo et caminando due miglia si scorge Gagliano et dopo sette per la uia ehe se passa ad Usento, si ueggiono moite Ville, et Contrade habitate da Greci, chi osseruano i costumi et Cerimonie Greche, insieme co’l fauelare, et ne’l uestire, et negli ufflci diuini, auenga ehe anche parlano italiano» (L. Alberti, Descrittione di tutta Italia, Bologne 1550, f. 213r).

 

64. Centonze - De Lorenzis - Caputo, Visite pastorali (cité n. 59), p. 86-88; Duval - Arnould - Jacob, Pietro Polidori (cité n. 60), p. 302-303.

65. Boccadamo, Terra d’Otranto nel Cinquecento (cité n. 53), p. 97 et note 191 (Reverendus dominus episcopus... reperit eucharistiam more Grecorum confectam) ; sur le culte de saint Brice à Calimera, voir D. Palma, Roca. La diaspora unita nel culto di Maria, Calimera 2002, p. 69-84, passim.

 

 

354

 

Au terme de cette énumération, il n’est peut-être pas impossible de tirer quelques conclusions sur la diffusion, plutôt surprenante on l’avouera, du culte de saint Martin dans la Terre d’Otrante hellénophone. Des onze églises répertoriées, huit au moins - celles de Surbo, Porto Badisco, Lecce, Soleto, Copertino, Taviano, Monticello et Brindisi - sont certainement médiévales. Même si elles ne sont signalées que dans une visite pastorale de 1538, celles de Corigliano et Galatina le sont sans doute aussi, comme au reste l’église Saint-Brice à Calimera, car les saints patrons des églises nouvelles sont choisis avec de tout autres critères au XVIe siècle et il est exclu que l’on ait pu penser alors à l’évêque de Tours. Cela vaut aussi pour la chapelle de Saint-Martin à Morciano.

 

Les églises de Lecce, Soleto et Taviano, sur lesquelles nous disposons d’informations précises, sont de rite byzantin. Les autres sont toutes situées dans des régions où la population grecque est très largement majoritaire, tout au moins jusqu’au XIVe siècle, et la probabilité quelles appartiennent au même rite est évidemment très forte.

 

Si l’on s’en tient à la date de référence la plus ancienne (1133), il est assez logique de penser que le culte de saint Martin a été introduit dans le Salento par les Normands. L’exemple de Bohémond, prince d’Antioche, qui édifia une basilique en l’honneur de saint Léonard de Noblat à Siponto, en Capitanate [66], parce qu’il lui attribuait le mérite de sa libération de la main des Arabes, est particulièrement bien documenté. Plusieurs églises, en effet, lui sont dédiées dans le Salento grec, notamment à Otrante (extra mœnia), deux à Corigliano, à Galatina et dans son feudo de Pisanello, à San Cassiano et à Soleto [67] ; saint Léonard est aussi représenté dans l’église grecque de Mater Domini à Bagnolo del Salento [68] ; le calendrier du Corsin. 41 E 31 lui réserve un tropaire spécifique au 6 novembre [69] et le protopape de Soleto Antonio Arcudi lui consacre un office propre dans son Anthologion [70]. Le culte de saint Eloi est aussi attesté dans la Terre d’Otrante dès l’époque normande puisqu’une église de Brindisi portant son nom est mentionnée en 1233 dans l’acte de Grégoire IX en faveur des moniales de Sainte-Marie de Brindisi [71]. Sa fête est insérée au 6 juin dans le Corsin. 41 E 31 et dans l’Anthologion d’Arcudi.

 

 

66. Voir à ce propos M. S. Calo Mariani, Culto dei santi lungo il cammino dei pellegrini : San Leonardo di Noblat e la Puglia, dans A. Calzona, R. Campari, M. Mussini éd., Immagine e ideologia. Studi in onore di Arturo Carlo Quintavalle, Milan 2007, p. 158-166.

67. Elles sont signalées dans les visites pastorales du diocèse d’Otrante de 1522 et 1538 : cf. Boccadamo, Terra d’Otranto nel Cinquecento (cité n. 53), p. 113, 45 et 53, 115, 69, 116.

 

68. Voir, sur cette dernière église, l’étude récente de M. Berger, L’église Mater Domini à Bagnolo del Salento. Essai de reconstitution du programme iconographique de l’abside et de ses annexes, dans J.-M. Martin, B. Martin-Hisard et A. Paravicini Bagliani éd., Vaticana et medievalia. Etudes en l’honneur de Louis Duval-Arnould, Florence 2008 (Millennio medievale, 71. Strumenti e studi, n. s., 16), p. 24-26, n. 20- 25 et fig. 12, avec une abondante bibliographie sur le culte et l’iconographie de saint Léonard dans l’Italie méridionale.

 

69. Ἕτερον τροπάριον τοῦ ὁσίου Λεονάρδου, ἦχος γˉ· Χαίρει σήμερον Βρετανία (!) σὺν τοῖς πέρασι τῆς οἰκουμένης ἐν τῇ μνήμῃ σου, Λεόναρδε μακάριε· σὺν Βρετανίᾳ Γερμανία γέγηθεν καὶ τῆς Φραγκιάς μέρη γεραίρουσι <τὴν> σὴν πανέορτον καὶ μα<κα>ρίαν τελείωσιν ἐν ᾗ πάντων ἡμῶν, πάτερ, μνημόνευε.

70. Arcudi, Νέον Ἀνθολόγων (cité n. 57), 6 novembre, p. 122-123.

71. Voir ci-dessus, n. 38.

 

 

355

 

Comme la plupart des églises salentines placées sous le patronage de l’évêque de Tours se trouvent sur le territoire de la seigneurie de Lecce, l’intervention des seigneurs du lieu n’y est sans doute pas étrangère. On aurait donc aimé savoir de quelle région de Normandie ou de France provenait Achard, le premier d’entre eux [72], au nom bien germanique [73], et si le culte de saint Martin y était particulièrement intense, mais l’on ne dispose malheureusement d’aucune information à ce sujet [74].

 

Un dernier problème reste à résoudre. Pourquoi les églises salentines de Saint-Martin sont- elles toutes ou presque toutes de rite byzantin ? La réponse va de soi, nous semble-t-il. Dans la seconde moitié du XIe siècle, lorsque les Normands s’établirent dans la région, celle-ci était pour ainsi dire complètement hellénisée. Tous les diocèses de la Terre d’Otrante méridionale (Otrante, Gallipoli, Castro) [75], y compris Lecce [76], avaient à leur tête des évêques grecs. Les premières fondations d’églises des nouveaux maîtres ne pouvaient donc qu’être «byzantines», comme le furent au reste leurs premières fondations monastiques, Sainte-Marie de Cerrate [77] et Saint-Nicolas de Casole [78] qui précèdent de loin celle de l’abbaye latine des Saints-Nicolas-et-Cataldus à Lecce.

 

Il convient toutefois, en terminant cette note, de remarquer que le prénom Martin n’a guère laissé de traces dans l’anthroponymie grecque du Salento [79] : la liste des prêts de Saint-Nicolas de Casole recense un Martin à Maglie [80] ; un autre est transcrit dans les diptyques des défunts du Cryptensis Γ.β. XVIII, 1, copié aux alentours de 1360 [81], sans parler de Martin Rizzo, dont il a été question plus haut.

 

 

72. Sur la famille des seigneurs de Lecce, on se reportera à la notice très fouillée de H. Houben, Goffredo, dans Dizionario biografico degli italiani, Rome 2001, 57, p. 529-531.

73. J. Coste, Dictionnaire des noms. Toponymes et patronymes en France : quelle origine, quelle signification?, Paris 2006, n° 2846, p. 295.

74. Cf. L. R. Ménager, Inventaire des familles normandes et franques émigrées en Italie méridionale et en Sicile (ΧΙe-XIIe siècles), dans Roberto il Guiscardo e il suo tempo. Relazioni e comunicazioni nelle Prime Giornate normanno-sveve (Bari, maggio 1973), Rome 1975 (Fonti e studi del Corpus membranarum Italicarum, 11), p. 259-390.

 

75. On ne possède pas d’information sur le diocèse d’Alessano avant 1198. Il n’est pas impossible que le diocèse d’Ugento ait été créé par les Byzantins peu avant leur départ d’Italie : cf. A. Jacob, Le culte de saint Vincent de Saragosse dans la Terre d’Otrante byzantine et le sermon inédit du Vaticanus Barber. gr. 456 (BHG 1867e), dans Philomathestatos. Studies in Greek Patristic and Byzantine Texts Presented to Jacques Noret forhis Sixty-Fifth Birthday, Louvain 2004 (Orientalia Lovaniensia analecta, 137), p. 285-296. Tout récemment, l’hypothèse suggestive, selon laquelle le diocèse d’Ugento aurait été créé aux dépens du diocèse de Gallipoli sur pression du Mont-Cassin, a été proposée par J.-M. Martin, Le Mont-Cassin et l’évêché d’Ugento, dans Vaticana et medievalia (cité n. 68), p. 311-322, en particulier p. 318-321.

 

76. Poso, Il Salento normanno (cité n. 27), p. 48.

77. Jacob, Cerrate en Terre (cité n. 28), p. 427-439 ; Id., La fondation du monastère (cité n. 28), p. 211-223.

78. J. M. Hoeck et R. J. Loenertz, Nikolaos-Nektarios von Otranto, Abt von Casole. Beiträge zur Geschichte der ost-westlichen Beziehungen unter Innozenz III. und Friedrich II, Ettal 1965 (Studia patristica et byzantina, 11), p. 10.

79. Cf. A. Jacob, L’anthroponymie grecque du Salento méridional, MÉFRM 107, 1995, p. 370, 372, 375.

80. H. Omont, Le Typicon de Saint-Nicolas di Casole près d’Otrante. Notice du ms. C. III, 17 de Turin, REG 3, 1890, p. 390; G. Cozza-Luzi, Lettere casulane, Reggio de Calabre 1900, p. 60.

81. Jacob, Épidémies (cité n. 55), p. 103.

 

 

356

 

A la multiplication des sanctuaires, due à la dévotion des seigneurs normands pour le saint tourangeau, les fidèles de rite grec ne paraissent donc pas avoir répondu avec la même ferveur et le même enthousiasme.

 

Università di Chieti

 

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