La fondation de Nikôn le Métanoeite à Sparte : un monastère urbain, sa ville et sa campagne

 

Michel Kaplan

 

 

 

Puer Apuliae. Mélanges offerts à Jean-Marie Martin, éd. E. Cuozzo, V. Déroche, A. Peters-Custot et V. Prigent, vol. 2, 383-393

(Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 30), Paris 2008

 

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À l’extrême fin du Xe siècle, la ville de Sparte voit s’éteindre un personnage qui a animé de son caractère trempé les trente années précédentes de la vie de cette cité. D’après sa Vie, il est né en Paphlagonie - sans doute dans les années 930-935 - au sein d’une famille aristocratique ; il a participé à la rechristianisation de la Crète après la reconquête de l’île par Nicéphore Phocas en 961 et, après une pérégrination qui le conduit en différents endroits de Grèce, il se fixe à Sparte où sa réputation de sainteté due à une prédication implacable de la repentance (μετανοεῖτε : «repentez-vous») le fait appeler pour chasser une épidémie. A cette aide, il met deux conditions : l’une, la plus souvent commentée, chasser les Juifs [1] ; l’autre, lui permettre d’édifier une fondation, celle qui va nous intéresser.

 

Le dossier documentaire de Nikôn est relativement limité : son testament, vraisemblablement écrit peu avant sa mort et qui, comme souvent, commence par une brève autobiographie (BHG 1368), et une Vie (BHG 1366 et 1367) dont la dernière étape de rédaction par un successeur de Nikôn à la tête de la fondation se situe à la fin de la première moitié du XIe siècle. Le testament ne nous est malheureusement pas parvenu dans une version originale, mais dans une traduction en grec moderne effectuée sur l’original, à une date inconnue, en tout état de cause antérieure à la première version imprimée, qui date de 1646, à Venise; le manuscrit était conservé non dans la fondation de Nikôn qui n’existait plus, mais dans le monastère des Quarante-Martyrs à Sparte. L’édition vénitienne, qui sera plusieurs fois reproduite, place ce testament dans un recueil qui commence par un dialogue de l’évêque Grégentios de aphār en Arabie du Sud au milieu du VIe siècle avec le juif nommé Herban.

 

 

1. Cf. J. STARR, The Jews in the Byzantine Empire, Athènes 1939 (Texte und Forschungen zur byzantinisch-neugriechischen Philologie, 30), p. 167-168; S. BOWMAN, The Jewish Settlement in Sparta and Mistra, Byzantinisch-neugriechische Jahrbücher 22, 1977, p. 131-146, ici p. 132-133; M. KAPLAN, Le saint, le village et la cité, dans C. Jolivet-LÉVY, M. Kaplan, J.-P. SODINI éd., Le saint et son sanctuaire à Byzance : textes, images et monuments, Paris 1993 (Byzantina Sorbonensia, 11), p. 90.

 

 

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Entre les deux, des écrits d’Épiphane de Salamine, des ouvrages d’autres saints personnages et le martyre de Marine. Le lien peut être fait entre le dialogue avec les Juifs et l’attitude envers ceux-ci que Nikôn revendique dans son testament. Le texte du testament a été publié à la suite de la Vie, mais évidemment dans la version de Venise, par les éditeurs grecs de la Vie, S. Lampros [2], puis O. Lampsidis [3], celui-ci reconstituant l’histoire du texte tel qu’il nous a été transmis [4]. La comparaison avec d’autres textes du même ordre qui nous sont parvenus montre que la traduction en grec moderne est parfaitement fidèle et permet de s’approcher très fortement du texte d’origine, sans doute beaucoup plus près que pour la Vie.

 

Celle-ci nous est conservée dans seulement deux manuscrits sensiblement différents. Le dernier éditeur, D. F. Sullivan [5], expose la situation. La Vie a d’abord été connue par une traduction latine des années autour de 1600 due à J. Sirmond, établie sur le Barberinus gr. 583, du XVe siècle. Une autre version se trouve dans le Kutlumus 210 de 1680. Les deux versions divergent nettement : le manuscrit de Kutlumus omet certains passages du Barberinus, en corrige d’autres et propose un ordre des miracles différent. Cela conduit Sullivan à estimer que les deux manuscrits reposent sur des traditions différentes et que celle du Barberinus est la meilleure [6] : c’est donc elle qu’il édite, alors que Lampsidis, qui a reproduit le testament en annexe à la Vie, édite les deux manuscrits séparément. On remarquera toutefois le caractère extrêmement tardif de la tradition manuscrite, qui peut avoir laissé la place à maintes modifications.

 

 

2. S. Lampros, Ὁ Βίος Νίκωνος τοῦ Μετανοεῖτε, Νέος Ἑλληνομνημών 3, 1906, p. 223-228.

3. Ο. Lampsidis, Ὁ ἐκ Πόντου Ὅσιος Νίκων τοῦ Μετανοεῖτε, Athènes 1982, p. 231-256 (désormais Testament de Nikôn). Voir traduction et commentaire dans J. THOMAS, A. CONSTANTINIDÈS HERO, Byzantine Monastic Foundation Documents. A complete Translation of the Surviving Founders’ Typika and Testaments, Washington (DC) 2000 (DOS, 35), t. 1, n° 17, p. 313-322.

 

4. Ibid., p. 241-249. Sur le testament, cf. en dernier lieu P. ARMSTRONG, Monasteries old and new: the nature of the evidence, dans M. MULLET éd., Founders and refounders of Byzantine Monasteries, Belfast 2007 (Belfast Byzantine Texts and Translations, 6.3), p. 315-343, ici p. 323-325. Le dernier article paru à notre connaissance sur le culte de Nikôn, R. MORRIS, The Spread of the Cult of St. Nikôn Metanoeite, dans E. KOUNTOURA-GALAKE éd., The Heroes of the Orthodox Church: the New Saints, 8th-16th c., Athènes 2004 (Εθνικό 'Ιδρυμα Ερευνών, Ινστιτούτο Βυζαντινών Ερευνών, Διεθνή Συμπόσια, 15), p. 433-458, qui traite nos documents dans une optique différente, minimise l’importance du testament et notamment estime que des détails supplémentaires apparaissent dans le testament qui ne sont pas dans la Vie. L’argumentation nous semble devoir être renversée. En revanche, toutes les remarques sur le sujet même de l’article sont de grande qualité et nous y renvoyons le lecteur.

 

5. D. E SULLIVAN, The Life of Saint Nikon, Brookline (Mass.) 1987 (Archbishop Iakovos Library of Ecclesiastical and Historical Sources, 14) (désormais Vie de Nikôn pour le texte grec). L’édition comporte, outre la traduction anglaise en regard, quelques notes explicatives ; elle se distingue par l’indigence de ses indices.

 

6. Id., The Versions ofthe Vita Niconis, DOP 32, 1978, p. 157-173. Le dernier article sur la Vie de Nikôn, J. O. ROSENQVIST, The Text of the Life of St Nikon « Metanoeite» Reconsidered, dans J. O. ROSENQVIST éd., Leimon: Studies Presented to Lennart Rydén on his sixty-fifth Birthday, Uppsala 1996 (Acta Universitatis Upsaliensis. Studia Byzantina Upsaliensia, 6), p. 93-111, argumente fermement pour considérer que le manuscrit de Kutlumus est le meilleur et qu’il faut faire une nouvelle édition. Il ne touche en rien à la composition ni au fond de la Vie. Pour la composition de la Vie, voir H.-A. THEOLOGITIS, Histoire et littérature dans l’hagiographie byzantine : le cas de saint Nikôn dit le «Metanoeite», dans P. ODORICO éd., Les Vies des saints à Byzance. Genre littéraire ou biographie historique ?, Paris 2004 (Dossiers byzantins, 4), p. 201-231.

 

 

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L’auteur de la Vie, qui ne donne pas son nom, est un higoumène du monastère de Nikôn qui se place lui-même en 1042 [7]. Il n’est pas le successeur immédiat du saint, car il nous montre l’un de ceux-ci, nommé Grégoire, réparer de fond en comble l’église édifiée par Nikôn. La question de savoir si l’auteur a connu Nikôn et a recueilli le témoignage de celui-ci reste ouverte et doit s’examiner à la lueur de ce qui suit. De toute façon, la question des sources se pose à l’évidence ; pour la période antérieure à l’arrivée de Nikôn à Sparte, où tout repose sur ce que Nikôn a bien voulu raconter [8], si ce n’est pure invention, car nous ne disposons d’aucune source qui permette de vérifier l’information, une tradition avait dû s’établir et l’auteur doit avoir disposé de notes. Dès que Nikôn arrive à Sparte, il devient nécessaire de croiser les informations que veut bien donner Nikôn lui-même dans son testament et la Vie [9]. Certes, le testament est bref et se concentre sur le récit de la fondation. Celui-ci commence à l’arrivée de Nikôn à Amyklai, à proximité de Sparte, où les Lacédémoniens sont venus chercher le saint homme pour arrêter l’épidémie et décrit uniquement le contrat écrit passé avec les habitants de la ville et la construction de son église malgré quelques oppositions ; il se poursuit par un nombre très restreint de prescriptions édictées par Nikôn pour la vie et l’avenir de son monastère [10].

 

La Vie rectifie à plusieurs reprises la perspective par rapport au testament. D’abord elle supprime cette notion d’accord écrit. Mais surtout, là où le testament ignore superbement l’évêque dans le processus de fondation, Nikôn faisant partir une procession de la cathédrale de son propre chef, la Vie réintègre le prélat à une place politiquement correcte et gomme autant qu’il le peut le conflit que l’on sent latent entre l’évêque et le saint. Tandis que la foule se serait ruée sur la dépouille du saint pour lui arracher cheveux, poils de barbe ou morceaux de vêtements [11], l’évêque arrive, disperse la foule et place le saint dans un cercueil [12]. Ce dernier épisode permet d’ailleurs de mieux comprendre la composition de la Vie : il contient, comme souvent, un premier miracle et la rédaction première de la Vie devait se terminer là [13].

 

 

7. Les deux manuscrits sont également fautifs dans la copie, pourtant en toutes lettres, de la date, car l’indiction ne correspond pas à l’an du monde dans l’un et l’autre cas. Comme l’avaient déjà suggéré R. JENKINS, C. MANGO, A synodicon of Antioch and Lacedaimona, DOP 15, 1961, p. 225-242, ici p. 240, deux corrections minimes réconcilient les deux modes de datation en faveur de 1042. Malgré cela, ARMSTRONG, Monasteries old and new (cité n. 4), penche au moins en faveur d’un remaniement en 1148 ; cet effort nous paraît inutile.

 

8. Nous ne disposons pour cela que d’un topos inutilisable : sentant sa mort venir, le saint convoque dans le narthex de l’église l’élite de la cité et les moines (de son monastère ou plus probablement de toute la ville) et leur fait le récit de la partie de sa vie qu’ils ne connaissaient pas : Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 45, p. 156.

 

9. D. Sullivan, qui ne reproduit pas le testament, ne fait pas ce rapprochement. En revanche, on trouvera ce travail effectué dans THOMAS-CONSTANTINIDÈS HERO, Byzantine Monastic Foundation Documents (cité n. 3).

10. Aucun typikon, hypotypôsis ou diataxis n’est annoncé; il n’en est pas plus fait mention dans la Vie, ce qui pose la question du statut de la fondation.

11. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 47, p. 162-164. Il s’agit là encore d’un topos : cf. M. KAPLAN, De la dépouille à la relique : formation du culte des saints à Byzance du Ve au XIIe siècle, dans E. BOZÔKY, A.-M. HELVÉTIUS éd., Les reliques : Objets, cultes, symboles, Turnhout 1999 (Hagiologia, 1), p. 19-38.

12. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 48, p. 164. L’évêque est un nommé Théopemptos, connu par ailleurs : cf. Sullivan, The Life of Saint Nikon (cité n. 5), p. 285-286.

 

 

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Viennent s’ajouter deux collections de miracles posthumes, en tout vingt-deux récits, qui occupent presque la moitié du texte fourni par les manuscrits (50 pages de l’édition contre 66 pour la Vie, si l’on retire le prologue et la péroraison). Une première collection de neuf miracles est précédée d’une première introduction [14] qui se termine par les détails du miracle au moment de la déposition dans le cercueil. Ensuite, au début du dixième miracle vient une seconde introduction, plus courte, qui annonce une seconde série de miracles [15]. Enfin, au début du miracle 21, l’auteur intervient une nouvelle fois dans un très court paragraphe où il dit qu’il serait trop long de tout raconter et qu’il va se contenter maintenant des miracles survenus récemment, seulement deux. Or les neuf premiers miracles sont en général courts (de 13 à 43 lignes de l’édition) et ne comportent aucune apparition du saint, alors qu’elles vont se multiplier par la suite. Dans les séries suivantes, les miracles sont en général beaucoup plus longs : aucun ne fait moins de 29 lignes, plusieurs en font plus de 90 et un dépasse même la centaine. Enfin, la fondation de Nikôn n’est qualifiée de monastère qu’à partir de la seconde série.

 

Cela nous permet de mieux comprendre la composition : une Vie pratiquement sans miracles, suivie d’une première série de miracles courts, sans doute rédigée peu de temps après la Vie; puis une seconde série de miracles, beaucoup plus amples, avec une technique d’intervention du saint bien mieux élaborée, l’auteur ayant signalé par une introduction cet ajout; enfin les miracles contemporains de l’écriture finale. Pour l’un des miracles de la deuxième série situé presque au milieu de celle-ci, l’auteur précise qu’il était alors higoumène du monastère [16]. Il est donc vraisemblable qu’il soit l’auteur de cette seconde série. La Vie possède une réelle unité de style; elle a bénéficié d’une réécriture globale qui est sans doute l’œuvre du même higoumène. Ajoutons les liens avec Luc le Jeune; plusieurs passages montrent une ressemblance marquée avec la Vie de celui-ci (BHG 994) [17], dont la rédaction est antérieure à celle de Nikôn. De plus, ces relations entre les deux sanctuaires sont confirmées par la présence de Nikôn parmi les saints dans le décor de mosaïques qui vint orner l’église double du monastère de Luc de Phocide et qui date du milieu du XIe siècle [18], l’époque même où vivait l’auteur de la Vie de Nikôn.

 

Ce qui importe pour notre sujet, c’est la différence de perspective déjà notée entre l’hagiographe et le saint lui-même dans le testament. L’higoumène présente la situation matérielle du monastère et notamment son implantation économique telle quelle était vers 1042, sensiblement différente de celle que présente le testament du saint.

 

 

13. Sur la place des miracles dans les Vies de saints, cf. M. KAPLAN, Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ?, dans D. AIGLE éd., Miracle et Karāma, Turnhout 2000 (Bibliothèque de l’École des hautes études, Sciences religieuses, 109, Hagiographies médiévales comparées, 2), p. 167-196.

14. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 49, p. 164-166.

15. Ibid., c. 58, p. 184; une nouvelle très brève introduction précède le miracle suivant, c. 59, p. 190.

16. Ibid., c. 68, p. 232 ; il s’agit du passage contenant la date indiquée par l’auteur.

17. Vie de Luc le Jeune (BHG 994), éd. D. Sophianou, Ὁ Βίος τοῦ ὁσίου Λουκᾶ τοῦ Στεφιώτη, Athènes 1989. Pour les comparaisons entre les deux Vies, cf. SULLIVAN, The Life of Saint Nikon (cité n. 5), p. 9-16.

18. Selon E. STIKAS, Nouvelles observations sur la date de construction du catholicon et l’église de la Vierge du monastère de saint Luc en Phocide, Corsi di cultura sull’arte ravennate e bizantina 19, 1972, p. 311-330.

 

 

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Notons d’abord le cadre juridique général. Nikôn n’a pas prévu de statut spécial : le statut d’autodespote, qui assure l’indépendance du monastère, ne s’affirmera que dans le dernier quart du siècle suivant. Tout monastère qui n’a pas obtenu le statut impérial ou patriarcal relève donc de l’évêque, dont nous avons vu que Nikôn ne le mentionne même pas dans le testament; ce point permet de mieux comprendre la place donnée à l’évêque Théopemptos par l’hagiographe et le désir de réconciliation marqué aussi bien dans le récit de fondation, fort différent de celui de Nikôn, que dans le récit de la mort et de la mise au tombeau. Toutefois, l’évêque n’apparaît à aucun endroit dans les miracles post mortem. Pour se défendre des emprises locales, la seule solution était de se trouver un protecteur laïque et puissant. Nikôn entretenait les meilleurs rapports avec les stratèges successifs du thème du Péloponnèse, Grégoire puis Basile Apokaukos [19], qui l’avaient aidé à construire son église, y compris en lui déléguant la main-d’œuvre des soldats, et lui avaient donné le village de Périssos [20] ; il confie donc le pouvoir (ἐξουσία) sur le monastère à celui qui détient la fonction de stratège, contre une modeste rémunération de cinq mesures de vin et d’un panier de pommes [21]. Il est possible que la chose ne soit pas restée en l’état. Au début du second recueil de miracles, nous voyons l’higoumène Grégoire se rendre à Constantinople demander à l’Empereur des chrysobulles et autres titres (δικαιώματα) qui fonderaient la sécurité du monastère [22], mais on ne sait quels furent les résultats de cette démarche.

 

L’une des singularités de la fondation de Nikôn par rapport aux documents que nous possédons sur les monastères byzantins hors Constantinople, c’est d’être un établissement urbain. Notons que le testament ne parle jamais de monastère, mais d’église (ναός) [23] dédiée au Christ et à sainte Kyriakè [24]. On comprend qu’il l’entoure d’un complexe sur lequel nous reviendrons et qui est qualifié de φροντιστήριον, terme dont la signification n’est pas claire [25] ; dans le récit de la mort du saint tel que la Vie nous la rapporte, Nikôn, malade,

 

 

19. Il aurait ainsi prédit au stratège Grégoire l’issue de la révolte de Bardas Sklèros et de celle de Bardas Phokas, bien connues à l’époque de rédaction de la Vie : Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 39-40, p. 136 et 140. Son successeur Basile est cité aux c. 40 et 50.

 

20. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 236 : la construction a été facilitée par les stratèges, les soldats et les juges (kritai du thème?).

 

21. Ibid., p. 254. Nikôn mentionne aussi le juge ou kritès, qui n’est pas forcément le même fonctionnaire, ce qui peut créer une double protection. Notons que, en 1027, Nicodème, qui fonde un monastère pour gérer le nouveau pont qu’il a fait construire sur l’Eurôtas, en confie également la surveillance (ἐπισκέπτεσθαι) au juge et stratège du Péloponnèse, un seul et même personnage. Le typikon, inspiré du Testament de Nikôn, est édité par D. FEISSEL, A. PHILIPPIDΙS-BRAAT, Inventaires en vue d’un recueil des inscriptions historiques de Byzance, III. Inscriptions du Péloponnèse (à l’exception de Mistra), TM 9, 1985, p. 267-396. Le typikon se trouve p. 301.

 

22. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 58, p. 184.

23. Le Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 254, utilise le terme ἐκκλησία, mais il est difficile de savoir s’il s’agit du terme originel ou de sa traduction en grec moderne.

24. Le terme ναός et le terme ἐκκλησία semblent utilisés indifféremment par le traducteur du testament. La dédicace se trouve dans la Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 35, p. 116.

 

25. D. Sullivan traduit systématiquement par ermitage, terme qui ne paraît pas parfaitement adapté, surtout pour une fondation qui se situe au beau milieu de la ville. Il me semble que l’hagiographe est volontairement imprécis. Au c. 43, p. 148, l’auteur qualifie la fondation de τὸ τῆς ἀληθινῆς φιλοσοφίας φροντιστήριον, l’endroit ou l’on se préoccupe de la vraie philosophie.

 

 

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«s’installe dans le narthex (πρόναος) de son divin et saint φροντιστήριον» [26]. La clôture, quoique très perméable dans le récit, est un phénomène essentiel, d’où la fréquence du terme τέμενος pour désigner l’institution.

 

Le testament qualifie ceux qui vivent dans l’église de frères et de prêtres, ceux-ci au nombre de deux ; le nombre de frères n’est pas précisé. Nikôn y insiste sur deux personnes, le prêtre Gabriel et le moine Hilarion, et prévoit leur remplacement après leur mort [27]. Le nombre de moines prévu n’est pas clair : Nikôn mentionne le prêtre Théodore Xylanthrôpos et quatre autres frères, mais sans doute sans tenir compte de Gabriel et Hilarion, d’où le pluriel toujours employé pour les prêtres. Enfin, c’est le stratège qui désignera l’higoumène ; cela se produit évidemment après la mort du saint, dont on peut penser, sans certitude absolue, qu’il exerce cette charge. Quant au terme institutionnel de monastère (μονή), il n’apparaît que tardivement dans le récit de miracles, au début de la seconde série [28], mais s’impose alors irrésistiblement : Grégoire est alors chef du monastère (ὁ τῆς μονῆς προεστώς [29]) ; on retrouve des termes équivalents pour désigner la fonction de l’hagiographe (ἡ προστασία τῆς μονῆς) [30].

 

Quant à la forte imbrication dans la ville, elle résulte de la volonté du fondateur : il entend s’installer sur l’agora, mais il doit négocier avec les dirigeants de la cité. Pour ceux-ci, il s’agit de préserver le fonctionnement commercial de la cité. Nikôn l’admet et se propose d’installer sa fondation dans la partie nord de l’endroit, qui ne servait plus au commerce, mais de terrain de polo (τζουγκάνιον) pour les dirigeants de la cité [31]. En fait, malgré son aura, Nikôn ne peut passer outre. Il est donc obligé de construire son église sur arcades. Certes, il dessine le plan au cordeau, mais il doit d’abord édifier une colonnade de base, celle sous laquelle on pourra continuer à jouer au polo en dessous de l’église, comme il l’a promis aux archontes [32], puis les colonnes proprement dites de l’église, avant de pouvoir y installer le toit [33].

 

 

26. Vie de Nikôn (cité n. 3), c. 43, p. 156.

27. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 255.

28. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 58, p. 184. Si l’on accepte le schéma développé plus haut pour la rédaction, cette seconde partie est l’œuvre originale ou retravaillée d’un higoumène du monastère, qui utilise dès lors ce terme.

29. Ibid. L’auteur précise alors que ce Grégoire a été «embellisseur» (κοσμήτωρ) du divin et saint téménos. L’équivalence entre monè et téménos est établie.

30. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 68, p. 232.

 

31. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 252. Le terme est d’origine perse. Le jeu est populaire depuis l’Antiquité et l’empereur Théodose II fit édifier un tel terrain de polo (τζ(ο)υκανιστήριον) à Constantinople que Basile Ier fit détruire pour construire la Néa. Mais il en fit reconstruire un plus grand et plus beau, relié à la Néa par deux galeries (cf. R. JANIN, Constantinople byzantine2, Paris 1964 [Archives de l’Orient chrétien, 4], p. 118-119); il paraît donc clair que l’Empereur lui-même s’adonnait à ce jeu, L’hagiographe ignore cet épisode, mais en raconte un autre, opposant le saint, qui se plaint que le bruit des joueurs trouble les offices, et le stratège Grégoire, qui s’y adonne (Vie de Nikôn [cité n. 5], c. 39, p. 136). La suite fait mieux comprendre cet incident.

 

32. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 252.

 

33. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 35, p. 116-118. L’auteur de la Vie omet une donnée du testament, où Nikôn déclare avoir édifié une coupole, rendue dans la traduction néo-grecque par τροῦλλα (Testament de Nikôn [cité n. 3], p. 253)· Les fouilles sur l’agora de Sparte ont tenté de retrouver l’église de Nikôn : B. WAYWELL, J. H. WILKES, Excavations at Sparta: The Roman Stoa, 1988-91, part 2, The Annual of the British School of Athens 89, 1994, p. 337-432, plus précisément p. 424-429. Les auteurs estiment avoir trouvé l’église de Nikôn dans les ruines de la stoa antique, mais les résultats ne sont guère convaincants; ce qu’ils ont trouvé ne correspond pas suffisamment à la localisation décrite par le testament (qui n’est pas pris en compte, notamment pour la présence de la coupole, peu compatible avec la basilique double qui a été mise au jour : cf. p. 386) et par la Vie. Ces auteurs ont d’ailleurs une lecture curieuse de la Vie : le c. 45 (Vie de Nikôn [cité n. 5], p. 156-160), nous décrit fort en détail la mort du saint, qui s’installe dans le narthex pour que les premiers citoyens et les moines de la ville puissent bénéficier de son dernier enseignement ; les auteurs en déduisent que Nikôn est enterré dans le narthex. Ils négligent totalement le miracle 5 qui montre le cercueil du saint dans une crypte (cf. n. suivante). H. KOURINOU-PIKOULA, Ὁ Ναός του Οσίου Νίκωνος τοῦ Μετανοείτε, Λακωνικαί Σπουδαί 14, 1998, p. 89-104, récuse elle aussi cette localisation.

 

 

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Cette disposition, qui est explicite dans le testament mais pas dans le récit de la construction tel quii figure dans la Vie, apparaît néanmoins dans celle-ci très peu de temps après l’édification, dans un chapitre qui rappelle le conflit exposé dans le testament. «Il y avait un terrain pour ceux qui jouent à la balle, où accouraient les amateurs de chevaux, en dessous de la divine maison (οἶκος) du saint» [34]. Celui-ci n intervient que lorsque les joueurs font un bruit excessif qui trouble l’office. Ceci permet de mieux comprendre un autre miracle, qui se trouve être le dernier. Nous sommes à l’époque de l’année où l’on vend les fruits frais sur l’agora, ce qui tente un jeune garçon qui est entretenu au monastère [35]. Le garçon pénètre dans la cellule d’un des moines et y trouve son porte-monnaie, qu’il vide dans sa poche ; mais le moine le surprend et l’enferme dans sa cellule pour aller avertir les autres [36]. Pris de panique, le garçon se jette tête la première par la fenêtre sur l’agora située au sud et atterrit, au bout d’une chute de six orgyes, soit plus de douze mètres,

 

 

34. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 39, p. 136. Notons que cette disposition permet l’édification d’une crypte située sous l’abside où le cercueil du saint repose sous un ciborium (miracle 7, ibid., c. 55, p. 176). Au miracle 5 (ibid., c. 53, p. 172), une femme paralysée des pieds, qui se repose dans la crypte, guérit suite à une apparition du saint et monte alors les escaliers en courant comme une gazelle. La crypte est fort logiquement située afin que le cercueil du saint se trouve à la verticale de l’autel ; il est vraisemblable que l’escalier débouche dans la nef, non dans le sanctuaire fermé par un templon (ibid., c. 38, p. 132) et réservé au clergé. C’est la disposition que l’on trouvait déjà pour les reliques d’Artémios dans l’église Saint-Jean-Baptiste de l’Oxia à Constantinople au VIIe siècle. Si l’on veut bien suivre nos hypothèses concernant la composition des miracles, les miracles 5 et 7 appartiennent à la première série, la plus ancienne, ce qui suggère que la crypte a été construite soit dès l’origine soit peu après la mort du saint ; la disposition des lieux permettait en effet de l’ajouter facilement, puisque l’église reposait sur des arcades. Comme l’abside et la crypte sont situées vers l’est, la fondation se trouvant au nord de l’agora, la crypte se trouve à l’extrême est du champ de polo et peut ne pas gêner le jeu; le contrat de départ n’est donc pas rompu.

 

35. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 75, p. 256-265. L’hagiographe ne donne aucune raison à cette présence d’un enfant au monastère, phénomène qui n’apparaît nulle part ailleurs dans la Vie. L’auteur moralise : les enfants aiment les fruits frais - sous-entendu : tandis qu’un moine aguerri saura écarter cette tentation.

 

36. On peut supposer que les moines s’accordent quelque repos dans la journée, car ils se lèvent la nuit pour l’office ; en effet, un moine éveillé se serait aperçu de l’entrée de l’enfant. On remarque que le moine a un porte-monnaie avec de l’argent. SULLIVAN, The Life of Saint Nikon (cité n. 5), p. 303-304, suppose que c’est l’économe ou le caissier ; cette explication n’est pas satisfaisante, car l’argent du monastère reste dans la caisse jusqu’au moment où il est utilisé pour les besoins du monastère. Le moine en question n’a pas de fonction précisée par l’auteur qui est tout de même l’higoumène et pouvait supposer que cette mention puisse surprendre. Donc la possession d’un porte-monnaie et de monnaie qui appartient au moine semble normale, bien loin des prescriptions de Théodore Stoudite.

 

 

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sur l’escalier de pierre qui descendait du monastère sur l’agora; rassurons-nous car, protégé par le saint qu’il a invoqué, le garçon ne s’est fait qu’une ecchymose qui guérit en quinze jours [37]. Bref, les kellia des moines, construits eux aussi sur arcades au sud de l’église, dominaient le nord de l’agora de plus de dix mètres, ce qui confirme les contraintes de la construction. On pourrait croire que la fondation de Nikôn tourne le dos à l’agora, symbole d’une activité commerciale à l’opposé de leur idéal ; il n’en est rien, puisqu’un magnifique escalier de pierre permet de gagner le lieu du marché depuis le monastère. Et si l’on veut bien remonter en arrière, on se rappelle que Nikôn a tout fait, jusqu’à concéder cette coûteuse et invraisemblable construction sur arcades, pour que sa fondation se situe au plus près de l’agora, alors que Sparte ne manquait sûrement pas de terrains plus tranquilles. Ni le testament ni la Vie ne donnent d’explication spirituelle, par exemple se situer plus près du mal pour le combattre. La question reste donc ouverte : provocation, dont Nikôn était coutumier? volonté d’inclusion dans la ville, par exemple dans un but d’apostolat? fascination pour une vie urbaine qui était à l’opposé de ce qu’il avait connu auparavant ?

 

Cette inclusion dans la ville ne se limite pas à la localisation. Nous apprenons ainsi que le monastère possédait dans la ville, sans doute en dehors de la clôture, un atelier (ἐργαστήριον) [38] qui est le pressoir à huile du monastère [39]. On en déduira que le monastère, qui, à cette époque, n’a plus qu’un métoque, ne fait pas presser l’huile dans celui-ci, mais en ville. Le miracle qui nous révèle ce pressoir [40] raconte l’histoire d’un nommé Etienne, un laïc en charge des affaires du monastère, tant fiscales que d’intérêt général, qui deviendra ensuite moine au monastère. L’existence de cette fonction explique d’ailleurs l’absence d’économe, pourtant en principe obligatoire depuis le concile In Trullo (692). Il a besoin d’huile à des fins personnelles et envoie son serviteur en soustraire. Ce qui est condamnable pour l’hagiographe et d’ailleurs immédiatement puni par l’intervention du saint, c’est cet usage privé du bien de la fondation ; mais il était normal qu’Étienne eût accès à l’atelier. Certes, les besoins en huile du monastère sont considérables, soit pour la nourriture, soit pour les innombrables lampes qui illuminent l’église, mais aussi les icônes et la sainte relique. Mais cette localisation au cœur de la cité permettait éventuellement d’en commercialiser l’excédent. On peut de plus imaginer que le pressoir du monastère pouvait aussi travailler à façon pour des clients extérieurs, mais la Vie ne nous en fournit pas la preuve.

 

Une autre activité commerciale est décrite au miracle 21 [41]. Un dresseur de chevaux, nommé Jean, issu d’une autre contrée, lève la main sur

 

 

37. Ibid., c. 73, p. 256-264. C’est le miracle le plus long du recueil. P. Armstrong, dans un article sous presse (The monasteries of saint Nikon : the Amyklaion, Sparta and Lakonia) quelle a bien voulu me communiquer, estime pouvoir traduire l’indication fondamentale πρὸς μεσημβρίαν (ἐν τῇ ἀγορᾷ) par “à midi”, ce que l’expression peut vouloir dire, mais qui ne fait pas sens ici. Cela lui permet de donner du crédit à la localisation du monastère dans la stoa antique (cf. supra n. 33, avec notre critique de la trouvaille archéologique).

 

38. C’est le terme caractéristique pour désigner les boutiques et ateliers urbains.

39. Le monastère possède des oliveraies dans ses métoques : cf. infra p. 391.

40. Vie de Nikôn (cité n. 5), miracle 17, c. 67, p. 228-230.

41. Ibid., c. 71, p. 242-246.

 

 

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«une femme de celles qui sont très pauvres; elle habitait dans les dépendances [42] de notre saint établissement. Elle vendait du pain pour avoir de quoi vivre... Il lui vole des pains sans lui donner la moindre pièce».

 

Toute la question est de savoir si le pain que vend la pauvre femme est sous-traité à un artisan boulanger ou au monastère. Toujours est-il que ces éléments, ainsi que l’orientation très forte du monastère vers l’agora, avec laquelle il communique, semblent indiquer une implication non seulement dans la vie, mais aussi dans l’économie de la ville. Au reste, dans son testament, le fondateur confie au protecteur du monastère le soin, très général, de s’assurer que le choix des moines se porte sur des hommes de grande qualité, «parce que mon église est située au milieu du forum» [43].

 

En tout état de cause, la fondation de Nikôn vit essentiellement sur ses biens ruraux, qui créent un lien fort entre ce monastère urbain et la campagne avoisinante [44]. Déjà, lors de la construction de l’église, c’est un villageois de Sthlavochôrion qui fournit la chaux, dont il paraît être un professionnel [45]. Au moment de la rédaction du testament, Nikôn possède deux métoques, Sthlavochôrion et Parorion, autour d’églises qu’il y a construites : tous les produits de ces villages doivent être stockés près de ce qu’il appelle encore l’église du Sauveur, à savoir la production des vignes, des champs et des oliveraies, mais aussi des arbres fruitiers et non fruitiers [46]. Il a de plus reçu le village de Périssos, donné par le stratège [47], mais qui est traité à part et dont on n’entend plus parler par la suite.

 

À vrai dire, comme toujours, Nikôn, sous ses dehors fantasques, est un homme capable et déterminé. On l’a vu négocier au plus près avec les principaux citoyens de la ville et les hauts fonctionnaires une installation de sa fondation quasi invraisemblable. Même si le récit de ses origines est sujet à caution puisqu’il ne repose que sur son propre témoignage, certains points sont cohérents avec son attitude. Ses parents, qui vivaient en Paphlagonie, sont qualifiés d’illustres et riches [48]; ce sont de vrais aristocrates, et ce n’est sans doute pas un hasard si l’un des premiers higoumènes, Grégoire, est lui aussi un Paphlagonien [49].

 

 

42. στεγονόμια, mot qui contient peut-être une nuance de location. Une clause du Testament de Nikôn (cité n. 2), p. 235, condamne ceux qui veulent se loger dans l’église et ses maisons et nuisent aux moines. Nikôn a donc construit un complexe comprenant le monastère (toujours qualifié par lui d’église) et des maisons ; la traduction en grec moderne (ὀσπήτια) peut recouvrir les termes οἰκήματα, qui désigne toutes sortes de bâtiments, et ένοικιακά, qui désigne plutôt les maisons de rapport.

 

43. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 255-256.

44. Cf. M. KAPLAN, Villes et campagnes à Byzance du VIe au XIIe siècle : aspects économiques et sociaux, dans Città e campagna, Spolète 2008 (Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull’alto Medio Evo, 56), sous presse.

45. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 254.            46. Ibid., p. 255.            47. Ibid., p. 256.

 

48. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 2, p. 32. Libre de source directe, l’auteur fait étalage de sa culture «antiquisante». Au lieu de la Paphlagonie, il parle de la région du Pont Polémoniaque qui jouxte le thème des Arméniaques ; quant aux dignités de sa famille, elles renvoient au système en vigueur au VIe siècle. Il paraît peu probable que Nikôn se soit exprimé en ces termes.

 

49. Ibid., c. 58, p. 184. On peut risquer quelques hypothèses. La Vie le rend responsable de la splendide décoration qui est celle du monastère au moment de l’ultime réécriture; d’autre part, nous l’avons vu, c’est lui qui se rend dans la capitale pour obtenir chrysobulles et autres titres fonciers, ce qui est plus facile à un aristocrate qu’à un moine issu de la base. On y verra donc sans doute un autre aristocrate de Paphlagonie, peut-être de quelque façon un parent du fondateur.

 

 

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Surtout, son père s’est occupé de le former à la gestion de ses domaines fort étendus, qu’il l’envoie inspecter [50]; à la tête de sa fondation, il retrouve les bons vieux réflexes de sa jeunesse. Pour s’assurer des domaines ruraux indispensables à l’entretien de la fondation urbaine, il procède en fondant des églises:

 

«les églises de Sthlavochôrion et de Parorion, que j’ai fondées, c’est-à-dire les métoques» [51].

 

Et l’on a vu plus haut que l’un des habitants de Sthlavochôrion avait fourni la chaux pour l’église principale. Dans le testament, l’organisation est clairement centralisée : ce sont les prêtres et moines de l’église du Sauveur qui exercent l’autorité et la gestion des métoques, situés à distance raisonnable [52].

 

La rédaction finale d’une Vie longue et riche par l’higoumène du monastère ne peut toutefois cacher que, dès les années 1040, la situation semble s’être dégradée. Par la suite, nous n’avons plus d’indication textuelle de la survie du monastère, même si la fréquence de représentation du saint en Grèce et notamment dans le Péloponnèse atteste une célébrité que la pauvre et tardive tradition manuscrite ne confirme pas. Faute d’indications suffisantes sur les fouilles qui ont été menées sur l’agora [53], nous ne pouvons mesurer la durée de survie du monastère du Sauveur.

 

Toujours est-il que, dans la Vie, nous n’entendons plus parler que du métoque du monastère, devenu unique et qui, pour cette raison, n’est pas nommé. Il est constamment menacé par les voisins, que ce soit les Slaves encore et pour longtemps indépendants que sont les Mélingues [54], l’aristocratie locale ou régionale [55] ou même d’autres villageois proches du métoque [56]. Certes, il ne faut pas exagérer ces menaces, car elles permettent les interventions du saint. Toujours est-il qu’il ne reste plus qu’un métoque [57]. Pour le reste, la gestion est bien toujours la même. Les assaillants rencontrent en général l’opposition des moines qui se trouvent dans le métoque, au point qu’on en retire l’impression qu’il y en avait là en permanence. L’histoire de Michel Choirosphaktès permet d’affiner cette constatation : doté d’une terre limitrophe du métoque, Choirosphaktès s’attaque à celui-ci au motif que les animaux endommagent ses biens ;

 

 

50. Ibid., c. 3, p. 34-36.

51. Testament de Nikôn (cité n. 3), p. 253.            52. Ibid.

53. Sur ces fouilles, cf. supra n. 33.

 

54. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 59, p. 190-194, ou ils sont simplement désignés comme ἐθνικοί, et c. 62, p. 206-212. Constantin Porphyrogénète les présente comme une tribu rebelle sous le règne de Romain Ier Lécapène, donc un siècle avant l’écriture des miracles de Nikôn qui nous les font revivre : CONSTANTINE PORPHYROGENITUS, De Administrando Imperio, éd. G. MORAVCSIK, R. J. H. JENKINS, Washington (DC) 1987 (CFHB, 1), c. 50, p. 232-234. Sur les Mélingues, cf. H. Ahrweiler, Une inscription méconnue des Mélingues du Taygète, Bulletin de correspondance hellénique 86, 1962, p. 1-10, repris dans EAD., Études sur les structures administratives et sociales de Byzance, Londres 1971 (Variorum Reprints, Collected Studies, 5), XV.

 

55. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 60-62, p. 194-202. L’aristocrate en question est Michel Choirosphaktès. Sur cette famille, cf. G. KOLIAS, Léon Choerosphactès, magistre, proconsul etpatrice : biographie, correspondance (texte et traduction), Athènes 1939 (Texte und Forschungen zur byzantinisch-neugriechischen Philologie, 31), et J.-Cl. CHEYNET, Pouvoir et contestations à Byzance (963-1210), Paris 1990 (Byzantina Sorbonensia, 9), p. 195, 230 et n. 192, 264 et 374; l’auteur n’identifie pas ce Michel avec les autres Michel Choirosphaktès connus.

 

56. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 70, p. 238-242.

57. La situation du métoque en bordure du territoire des Mélingues pourrait militer en faveur de Sthlavochôrion ; mais ce n’est qu’une fragile hypothèse.

 

 

393

 

l’agresseur

 

«se saisit d’abord de Zosime, le moine le plus âgé, qui était alors celui qui s’occupait en cet endroit des affaires du monastère» [58].

 

On en déduira que l’on a envoyé un sage depuis l’établissement lacédémonien pour gérer le métoque et qu’il y réside le plus souvent. Au reste, il y a bien une église, avec une icône du saint qui fait des miracles et qu’il faut desservir [59]. Cette gestion est bien conforme aux prescriptions du testament énoncées plus haut, alors même que le testament, qualifié de διαθήκη ou de διατύπωσις, n’est mentionné que dans un seul endroit de la Vie [60].

 

 

Bien connu durant sa vie et dans les années qui suivirent sa mort, Nikôn le Métanoeite a fondé avec un certain soin un établissement religieux, sorte de congrégation de moines et de prêtres, à qui il n’a pas formellement donné lui-même le statut de monastère, mais qu’il a en revanche fortement implanté au cœur même de la ville de Sparte. Retrouvant les réflexes de sa jeunesse de grand aristocrate, il l’a largement doté de dépendances rurales, mais en assurant la concentration des produits et surplus ruraux en ville, là où la fondation était elle-même impliquée dans la vie économique. Même si la mémoire du saint ne s’est peut-être pas conservée longtemps dans sa fondation lacédémonienne, l’abondance de ses représentations sur les murs d’églises de Grèce et principalement de Laconie montre qu’il fut une célébrité locale, dont la mémoire a largement survécu à la fondation [61].

 

 

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Centre de recherches d’histoire et civilisation byzantines et du Proche-Orient médiéval

 

 

58. Ibid., c. 60, p. 198. Notons que Zosime est moine et non prêtre, ce qui lui interdit une desserte complète de l’église, à savoir la délivrance des sacrements. Bien que Nikôn affirme dans son testament avoir fondé des églises dans ses métoques (Testament de Nikôn [cité n. 3], p. 255), on doit se méfier ici de la traduction en grec moderne, ναός étant moins clair que ἐκκλησία (cf. supra n. 24).

59. Vie de Nikôn (cité n. 5), c. 70, p. 240.            60. Ibid., c. 59, p. 190.

 

61. Indicateur supplémentaire et quasi contemporain de ce phénomène : les ruines d’une église située sur l’acropole de Sparte étaient connues localement comme «Saint-Nikôn», tandis que la fouille a révélé qu’il s’agissait d’une basilique du VIIe siècle (P. L. VOCOTOPOULOS, Παρατηρήσεις στὴν λεγομένη βασιλικὴ τοῦ Ἁγίου Νίκωνος, dans Actes du Ier congrès d'études péloponnésiennes, Athènes 1978 [Πελοπονησιακά, supplément 6.2], p. 273-282 avec résumé en français p. 282-285). Cf. en dernier lieu R. SWEETMAN, E. KASTARA, The Acropolis Basilica project, Sparta, a preliminary report for the 2000 season, The Annual of the British School ofAthens 97, 2002, p. 429-468.

 

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